Winter Break

Comédie de Noël (1970) / Formidable retour au premier plan d’Alexander Payne avec cette irrésistible comédie douce-amère et délicieusement vintage où un trio de laissés-pour-compte emmené par un vieux prof de littérature misanthrope radioscopie l’Amérique du début des 70’s.

On avait laissé Alexander Payne perdu dans l’univers miniature de Downsizing, univers qui ressemblait un peu trop au nôtre pour être apprécié comme de la science-fiction… Le voilà qui se réinvente avec, Winter Break, en cinéaste des années 70, imitant jusque dans sa bande-annonce le ton, les textures et les mouvements de caméra d’un film tourné au début de cette décennie. Nostalgie vintage d’un cinéaste à la recherche d’un nouveau souffle dans un passé idéalisé ?

Le film désamorce assez vite l’objection : si vieux réac’ il y a, c’est surtout son protagoniste, Paul Hunham, professeur de littérature macérant dans l’alcool et ses frustrations, maugréant contre le temps présent mais surtout contre ses jeunes élèves qui en incarnent à ses yeux toute la décadence culturelle — il y a donc des Finkielkraut à toutes les époques et dans tous les pays du monde… Payne a toujours aimé ces figures de misanthrope, du prof (déjà !) de L’Arriviste jusqu’au père fatigué de Nebraska en passant par son Monsieur Schmidt, véritable étalon en la matière. Avec eux, il se plaît à marier les contraires : vacheries et drôlerie, rigorisme et détente, surtout quand le masque se craquelle et révèle le bon bougre derrière le méchant bougon.

L’Amérique dans la tempête (de neige)

Winter Break est donc un long apprivoisement de cette figure ambivalente. Il faut d’abord resserrer le scénario jusqu’à obtenir un trio de laissés-pour-compte (possible traduction du titre original, The Holdovers) privés de vacances à Noël : Paul donc, Angus, un de ses élèves, forte-tête et esprit affuté, et Mary, une cuisinière noire, bloc d’ironie face à un monde qui lui a enlevé un fils. Car nous sommes en 1970 et la guerre du Vietnam commence à piocher chez les moins favorisés sa réserve de chair à canon…

C’est le deuxième mouvement orchestré par Payne : en envoyant ces trois-là faire un court road-trip loin du lycée, sur les routes enneigées d’une Amérique moralement pétrifiée, il fait entrer un subtil commentaire historique qui teinte de gravité son irrésistible comédie. Comme si Hal Ashby avait tourné un scénario inédit de John Hugues, y apposant sa marque faite de zooms arrière sur fond de chansons folks, mais aussi son ton où la solidarité entre les perdants répond à la philosophie de la win et de l’individualisme états-unienne. Tout comme Ashby (et ses camarades du Nouvel Hollywood), Payne sait croiser une certaine sensibilité européenne — il dit s’être inspiré d’un court film de Pagnol, Petrus, mais on peut tout autant penser à la comédie à l’italienne façon Le Fanfaron — à des personnages strictement américains. Mais il possède aussi ce sens de l’entertainment qui fait de Winter Break une suite de scènes mémorables où il manipule magistralement les émotions du spectateur — vous rirez, vous pleurerez, vous applaudirez à la fin, et sans honte en plus.

Rien ne pourrait advenir cependant s’il n’avait à ses côtés ce magicien du jeu qu’est Paul Giamatti… Combien de comédiens aujourd’hui vous font sentir dans le même mouvement la perfection de leur tempo comique et les contradictions qui habitent leur personnage ? Si Winter Break imite le cinéma du passé, Giamatti lui apporte ce sentiment du présent, une proximité avec un acteur vivant à tous les sens du terme : un génie du live et un magnifique interprète de la vie intérieure de son personnage, qu’elle soit spirituelle — il récite le nom de ses peintres préférés avant de se coucher — ou organique — il la conclut d’un pet gras et sonore. Sublime et trivial, drôle et profond, il résume l’esprit et la lettre de ce film formidable.

Winter Break
d’Alexander Payne (EU, 2h13) avec Paul Giamatti, Da’Vine Joy Randolph, Dominic Sessa…
Sortie le 13 décembre

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