Festival / Après une première édition foisonnante, l'événement consacré au jazz Récif festival revient du 1ᵉʳ au 5 avril. Rencontre avec Raphaël Dumont, programmateur au Périscope et Julien Arnaud en charge du département jazz à Baam productions, les deux structures à l'initiative du projet.
Le Petit Bulletin : Quelle est la genèse du festival ?
Julien Arnaud : C'est Pierre Dugelay, directeur du Périscope, qui a constaté qu'il y avait un manque laissé par la disparition du festival À Vaulx Jazz en 2019. On y a vu une occasion de lancer un nouvel événement, porté de concert par un producteur local et une scène locale, afin de défendre cette esthétique du jazz, assez malmenée depuis quelques années.
Pourquoi est-ce une esthétique malmenée ?
JA : Seuls quelques projets prennent la lumière, alors que le jazz comprend les musiques du monde, les musiques improvisées ou encore les fusions avec d'autres styles comme le hip-hop. Il est sous-représenté dans les médias et dans la presse nationale.
Raphaël Dumont : Au Périscope, on programme du jazz toute l'année, même si on est assez limités en termes de taille et d'audience : 240 personnes debout ou 110 en places assises. Ce festival et la collaboration avec Baam productions nous donnent l'occasion d'élargir nos murs et de diversifier les lieux de rencontre avec les publics.
Cela représentait forcément un risque important.
RD : On ne savait pas trop si le public allait suivre, même si on programme des gros concerts de jazz à l'Épicerie moderne par exemple qui sont souvent complets. De plus, Baam productions programme des choses plus ''actuelles'', nos veilles artistiques ne se situent pas exactement aux mêmes endroits donc la discussion est fertile, on invente quelque chose de pointu mais qui parle à des publics très différents, forcément plus nombreux.
JA : Jazz à Vienne organise régulièrement des concerts à Lyon, notamment à l'Auditorium, et Lyon jouit de clubs émérites comme le Hot club ou la Clef de voûte. On souhaitait proposer quelque chose d'un peu différent, se loger dans un interstice encore peu exploré.
À quels changements s'attendre par rapport à la première édition ?
JA : L'année dernière, le public était là, enthousiaste, attentif. On a été agréablement surpris. On programme le même nombre de concerts cette année, avec 16 concerts et 2 DJ sets, et on défend les mêmes esthétiques. La notoriété des groupes proposés est aussi comparable. Le changement le plus important est qu'on n'investira pas la Chapelle de la Trinité cette fois-ci. En revanche, on a deux nouveaux lieux à jauges importantes, le Transbordeur et le Sucre.
On a aussi mis en place l'International Jazz Platform (du 1er au 3 avril ndlr), il y aura des masterclasses à destination des musiciens internationaux durant trois jours, avec trois mentors extraordinaires (Susana Santos Silva, Sylvain Darrifourcq et Petter Eldh) qu'on retrouvera aussi dans la programmation. Il y aura par exemple une table ronde sur l'hybridation entre les musiques traditionnelles et le jazz, qui sont porteuses, chacune, d'esthétiques très codifiées.
Ce projet participe aussi de nos réflexions sur l'impact écologique de ce genre de manifestations. Les artistes internationaux ne viennent pas seulement pour une date, mais pour une rencontre qui dure plusieurs jours.
Il y aura aussi l'installation d'un soir de Sylvain Darrifourcq, Fixin, à la BF15 : une proposition numérique et sonore qui ne viendra pas métamorphoser la proposition du festival, mais qui permettra d'exprimer d'autres façons l'identité du festival.
Comme l'année dernière, il y aura cinq concerts gratuits cette année.
RD : C'est la mission d'un lieu comme le nôtre de créer de l'émulation et une continuité entre artistes locaux et émergents avec d'autres artistes confirmés, qui viennent de partout en Europe. De 19h à 20h, on proposera des concerts gratuits d'artistes du territoire, cela permettra aussi de faire venir un nouveau public, ainsi que de proposer des choses très innovantes, créatives, sans se mettre la même pression qu'un concert payant.
Vous y retrouvez-vous économiquement ?
RD : L'objectif de ce genre de festival n'est pas de faire de l'argent, l'objectif est d'arriver à l'équilibre tout en défendant une image des festivals telle qu'il faudrait les encourager à l'avenir, c'est-à-dire des festivals porteurs de valeurs (écologiques, d'accessibilité par exemple) et favorisant l'émergence.
Ça reste un petit pari quand même, mais c'est une bonne chose. Au Périscope on chemine entre découverte et prise de risque toute l'année, l'équilibre est toujours atteint à la fin. On souhaite retomber sur nos pattes et faire une troisième édition. C'est aussi pour ça qu'on a lancé un site web, pour être plus identifiable et s'inscrire dans la durée.
Pourquoi avoir décidé d'investir le Sucre et le Transbordeur après avoir quitté la Chapelle de la Trinité, où vous proposiez des concerts assis ?
RD : Pour le Sucre, ça faisait longtemps qu'on voulait prolonger l'événement vers un format club, on ne l'avait pas envisagé l'année dernière car il est compliqué de multiplier les acteurs. On connaît bien l'équipe du Sucre, ils sont dans le quartier et ils ont une vraie appétence pour les prestations live. En revanche, c'est vrai que cette année, il n'y aura pas de concert assis.
JA : Ça s'est présenté comme ça. À Lyon, on a peu d'équipements assis. Ça ne veut pas dire que c'est immuable, on aimerait bien en retrouver au cours des prochaines années. On a quand même quelques places assises à l'étage pour certains concerts.
La programmation est émaillée de propositions hybrides, Daoud puise ses inspirations dans le jazz mais aussi le hip-hop et l'électro par exemple, pareil pour Y-OTIS... Comment borner l'éclectisme, l'identité du festival ? N'y a-t-il pas un risque d'y perdre les "puristes" ?
JA : Je ne pense pas qu'on perde un public, mais peut-être qu'il faudra proposer des choses un peu plus classiques, traditionnelles au cours des prochaines éditions. Ce n'est pas une forme de militantisme absolu de dire qu'il faut que le jazz évolue, c'est plutôt un constat, duquel notre programmation témoigne.
Même Jazz à Vienne a une programmation extrêmement éclectique. Bon nombre de musiciens qui jouent de la musique improvisée aujourd'hui ont une formation jazz, mais se sont ouverts à d'autres styles musicaux. Quand ils composent, ça s'entend, c'est comme ça, c'est vivant.
RD : C'est important de montrer à Lyon que des artistes comme Y-Otis (qui sera accompagné de Petter Eldh et de Jamie Peet) proposent un mélange prescripteur. On retrouve des influences break, hip-hop, électro, jazz club et jazz syncopé dans sa musique, représentant la nouvelle garde européenne. Ce sont des invitations qu'on a pris grand soin à sélectionner, en pensant à nos publics justement.
On a aussi invité des légendes, comme Fred Frith guitariste et improvisateur qui parle autant aux amateurs de rock que de jazz. C'est le garant d'une époque, le versant d'un musicien qui n'a cessé d'expérimenter des choses dans une carrière qui comporte très peu de redites. C'est à la fois l'artiste le plus âgé du festival ainsi que le plus éclectique, on le retrouvera pourtant sur la soirée la plus expérimentale et radicale. Il n'y a pas de règle.
Le Récif mélange beaucoup d'esthétiques, nationales mais aussi internationales, on veut s'en servir comme d'un espace de visibilité pour le jazz, tout en créant des ponts entre ces trajectoires, ces courants, très ancrés dans l'actualité. D'ailleurs, bon nombre de concerts seront comme des "release party" déguisées.
Récif festival
Du 1ᵉʳ au 5 avril 2025 dans plusieurs lieux de la métropole de Lyon ; prix variables