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Baisses de subventions de la Région : « Si on continue, dans 10 ans il n'y aura plus d'artistes »

Baisses de subventions de la Région : « Si on continue, dans 10 ans il n'y aura plus d'artistes »

Subventions / C'est une baisse de 12 % du budget consacré au fonctionnement relatif à la culture, à la création et à l'enseignement artistique que la Région Auvergne-Rhône-Alpes a discrètement élaboré. Les lignes des tutelles de nombreux lieux, dispositifs et compagnies ont disparu des commissions culture de la Région tandis que d'autres ont été rabotées.

C'est le média national consacré au spectacle vivant Sceneweb qui avait fait les comptes en premier : depuis les commissions culture de février et mars, les couperets tombent sur les artistes et les lieux de toute la région, totalisant une baisse de 5, 2 millions d'euros dans tout l'écosystème culturel du territoire.

La Région Auvergne-Rhône-Alpes avait pourtant annoncé une hausse du budget culture-patrimoine par rapport à celui de 2024, de 8, 5 millions d'euros précisément. Force est de constater que c'est surtout le volet patrimoine qui profitera de cette hausse, à hauteur de 34 % contre 11 % pour la partie culture. Une somme qui est allouée à de nombreux projets patrimoniaux tels que le château-musée de Saint-Maurice-de-Rémens, la cité de la civilisation gauloise Gergovia dans le Puy-de-Dôme, la Halle aux blés à Clermont-Ferrand, la restauration du Domaine royal de Randan dans le Puy-de-Dôme et, évidemment, l'agrandissement du musée lyonnais, le Musée des tissus, dont l'ouverture a été repoussée à 2030.

Il devait cependant rester une belle part allouée à la culture. Cependant, 33 % du budget culture est dédié à l'investissement. En résulte donc une baisse de 12 % du budget consacré au fonctionnement relatif à la culture, à la création et à l'enseignement artistique. 

Lyon en première ligne

Dans la métropole de Lyon, Ramdam a perdu 8 000 €, le théâtre de l'Iris 5 000 €, la SMAC 07 d'Annonay 30 000 € et AFX Lyon 15 000 € totalisant une baisse de 58 000 € par rapport à 2024.

À cela, il faut ajouter le théâtre de l'Élysée, les Clochards célestes, À Thou bout d'chant, la MJC Ménival, Le centre Leo Lagrange – Espace Tonkin Villeurbanne, Le grand nid de poule et Désoblique qui ont disparu des tableaux, perdant au passage la totalité de leurs subventions (pour un total de -139 500€ par rapport à 2024). Mis bout à bout ce sont 197 500€ qui sont désengagés des structures consacrées à la culture, à la création et à l'enseignement artistique dans la métropole de Lyon.

D'autres structures de la région ne sont pas épargnées : Le Pacifique, CDCN de Grenoble perd 15 000 € tandis que La Manufacture Aurillac, le Footsbarn théâtre à Hérisson, Le Prunier sauvage, La bobine et Cultur'act à Grenoble ont aussi disparu des tableaux, ce qui représente -78 500€ par rapport à 2024.

Les compagnies du territoire ont aussi été visées par une coupe drastique. En tout, 546 000 € de tutelles ont été supprimées depuis l'année 2024. Une baisse qui concerne 23 compagnies auxquelles il faut ajouter les compagnies qui ont disparu du tableau : celle de Maguy Marin, le groupe Émile Dubois (la structure de Jean-Claude Gallotta), la cie Chatha (danse), Les Nouveaux nez (cirque), la cie Kumulus, Magma performing theatre (arts de rue), la cie Travelling, Brozzoni, La belle meunière, Lézard dramatique, Raskine & cie et Scènes (théâtre). Cinq groupes de musique et ensembles se sont aussi vus accorder des subventions rabotées par rapport à 2024 (-57 000 €).

Contactée, la Région Auvergne-Rhône-Alpes réfute avoir revu à la baisse le budget de la culture : « Pas un euro de baisse ! Peu d'autres collectivités dans notre région peuvent en dire autant. Nous avons procédé à des rééquilibrages dans le domaine culturel au profit de nos territoires ruraux. »

Un argumentaire que la collectivité avait déjà brandi plusieurs fois lors de précédentes baisses de subventions. Pour illustrer son propos, celle-ci évoque un "bon élève", l'Opéra de Lyon qui avait pu récupérer une partie de sa subvention en 2024, en la fléchant exclusivement vers un dispositif d' "Opéra itinérant" dans toute la région : « Nous favorisons désormais tous ceux qui permettent d'amener la culture dans les territoires, notamment vers ceux qui en sont les plus éloignés. La plus belle démonstration de cette nouvelle politique, c'est tout le travail que nous avons mené avec l'Opéra de Lyon. »

La Région assume donc, après coup, les coupes ciblées sur les importants centres urbains : un peu Grenoble, surtout Lyon. Au-delà du discours qui motive ces baisses, c'est une décision que de nombreuses structures auraient souhaité anticiper.

Hôtel de Région Auvergne-Rhône-Alpes ©Marc Lecocq

Des baisses sans préavis

Plusieurs déclarent avoir appris ce revirement en découvrant la ligne manquante dans les tableaux de la Région, parfois au téléphone, parfois entre deux portes. « J'étais en commission DRAC, on est allés fumer une cigarette avec mon conseiller et il m'a annoncé que ma compagnie perdait l'entièreté de sa subvention, soit 25 000€ », témoigne Nadège Prugnard, qui dirige Magma performing theatre ainsi que les Ateliers Frappaz, Centre national des arts de la rue et de l'espace public situé à Villeurbanne. Elle se dit « accablée », une grande partie de cette subvention devait servir des actions culturelles écrites en partage avec les Ateliers Frappaz. Elle ne se résout pas à une fin de non-recevoir : « on a déjà pris des engagements auprès d'acteurs, c'est très compliqué de rétropédaler ».

Du côté de l'école de cirque de Lyon – MJC Ménival, c'est l'entièreté du projet de l'école qui est remis en cause. La formation préparatoire aux grandes écoles de cirque reconnue par le ministère de la Culture a perdu l'entièreté de sa subvention, soit 60 000 €, sans laquelle il semble impossible d'amener les douze élèves au terme de leur cursus de deux ans, car celle-ci risque de fermer en juin prochain. La formation préparatoire jouit pourtant d'un taux de réussite record de 80 % en écoles supérieures. Celle-ci irrigue directement les 160 compagnies présentes sur le territoire, dont 52 % sont diffusés hors région, 14 % à l'étranger et 34 % dans la région. « Les élèves sont en état de choc. On leur coupe leurs rêves, leur projet professionnel », témoigne Nadège Cunin, coordinatrice générale de l'école de cirque de Lyon qui évoque la responsabilité de la Région en matière de formation et s'inquiète des impacts sur le long terme : « Si on continue dans cette direction, dans 10 ans, il n'y aura plus d'artistes de cirque. On sabote le premier maillon de la chaîne. » L'école a d'ailleurs lancé une pétition en ligne pour inciter la collectivité à rouvrir le dialogue.

Quelle place pour l'émergence ?

La MJC Ménival – école de cirque de Lyon était accompagnée par la Région au titre de l'appel à projets Scènes découvertes lancé par la Ville de Lyon et auquel la Région était partenaire avec la DRAC. La collectivité se retire du dispositif sans avoir préalablement sollicité de bilan et déclare « souhaiter analyser les projets au regard de ses critères d'aides aux lieux du spectacle vivant (diffusion, soutien à la création et action culturelle) et des équilibres territoriaux ».

Cinq structures lyonnaises sont concernées. Pour le théâtre de l'Élysée, c'est un poste à mi-temps, des heures d'intermittence et des coproductions qui disparaissent, pour le théâtre des Clochards célestes, plus de minimum garanti et de défraiement pour les artistes, plus de brochure de saison, peu ou plus de déplacements pour aller voir des spectacles en dehors de Lyon. Pour la salle de concerts À Thou bout d'chant, c'est un 35h qui saute, et au moins huit concerts et deux projets d'action culturelle avec des lycéens qui passent à la trappe, sans compter les résidences d'artistes qui vont, elles aussi, se raréfier. « À l'échelle de la Région, les montants sont pourtant petits », rappelle Emma Nardone qui codirige la salle de concert. C'est 15 000 € en moins pour À Thou bout d'chant, même montant pour l'Élysée, 17 000€ pour le théâtre des Clochards célestes. « C'est pourtant énorme à l'échelle de nos budgets », abonde Martha Spinoux-Tardivat, la directrice du théâtre des Clochards célestes qui rappelle que « les compagnies qu'on fait jouer sont en grande partie issues des territoires de la région, nous sommes le premier maillon de la chaîne, essentiel pour que les artistes puissent exister, et éventuellement, évoluer ». Emma Nardone approuve et rappelle qu'avant de remplir des Zéniths, des artistes comme Terre noire, ou Pomme, sont passés par les planches d'À Thou bout d'chant. Des petites jauges qu'on ne retrouve peu ou pas en ruralité : « J'y vois une forme d'eugénisme... on garde que ce qui est très gros, visible, sans se poser la question des autres formes existantes ou de ce qui a permis leur émergence », conclut Martha Spinoux-Tardivat.

De nombreux lieux et artistes espèrent voir leur structure réévaluée au cours des prochaines commissions culture de la Région. Pour rappel, le festival Sens interdits n'avait obtenu sa subvention de 2024 qu'en octobre dernier. Certaines d'entre elles n'ont d'ailleurs pas souhaité prendre la parole, jugeant trop grand le risque d'être identifiées persona non grata par la collectivité, et de perdre ainsi l'hypothétique retour de leur tutelle.

Raconte-moi la suite

En tout état de cause, ce régime sec interroge. Pour rappel, le controversé spectacle Raconte-moi la France avait bénéficié d'un soutien à la promotion de 445 000€ puis de 60 000€ par la Région en 2024. Au-delà du geste particulièrement généreux, force est de constater que le spectacle est à l'arrêt depuis ses premières dates à Clermont-Ferrand données du 26 au 31 octobre 2024. Les représentations lyonnaises ont été annulées et aucune nouvelle date n'a été annoncée depuis. D'après la Région, « les spectacles lyonnais ne sont pas annulés mais reportés de quelques mois pour des raisons d'organisation. La tournée de ce spectacle grandiose, est prévue dans trois à quatre villes par an pendant cinq ans. »

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