Âmes en stock

Une comédie existentialiste flirtant avec la SF et la littérature russe, tout en restant cohérente, humble et jubilatoire ? C’est le petit miracle accompli par la première réalisation de Sophie Barthes. François Cau

L’un des plus grands “on-ne-sait-jamais-comment-il-s’appelle“ du cinéma américain contemporain, Paul Giamatti, répète Oncle Vania de Tchekhov. Sous le joug de ce personnage complexe, en pleine crise d’angoisse, pris de doutes dévorants sur sa vie et son métier, il repère une annonce pour le moins tentante : un laboratoire privé propose l’extraction et le stockage de 95% de votre âme, histoire de vous faire sentir plus léger. Incrédule, Giamatti tente l’expérience. Joie : ses pensées sombres s’éclipsent, il redécouvre des plaisirs simples, tel que frotter ses pieds l’un contre l’autre. Problème : il n’arrive plus à jouer, à tenir une conversation soutenue ou à faire l’amour à sa femme. Un temps séduit par l’emprunt de l’âme d’un poète russe, il va réclamer la sienne, pour s’apercevoir qu’à la grâce du marché noir de ce business, elle est partie vers la Russie… Un acteur en mal de reconnaissance qui torture un alter ego de fiction, une trame fantastique prêtant le flanc à des questionnements métaphysiques, un flirt permanent entre surréalisme et poésie… Celui qui a cité Dans la peau de John Malkovich peut se rasseoir, il aura une image. Car Sophie Barthes a finalement plus de points communs avec le regard sensible et humain du réalisateur Spike Jonze qu’avec les poses affectées du scénariste Charlie Kaufman.

Divague à l’âme

C’est l’occasion de régler nos comptes avec le fumiste auteur d’Adaptation et de Synecdoche New York. Soyons fous : le talent qu’on a pu voir chez Kaufman (bien éventé depuis ses débuts) se retrouve plus largement, généreusement et humblement chez Sophie Barthes. Ici, point d’autoportrait geignard et complaisant du créateur sur le thème “oh my God, que le génie est donc pesant et douloureux“, mais une réflexion existentialiste de très haute tenue, un subtil hommage à l’œuvre d’Anton Tchekhov, reposant pour grande partie sur l’évolution narrative passionnante de son très bon point de départ. Pour surréaliste qu’elle soit, l’intrigue ne laisse jamais ses personnages de côté au nom d’intérêts auteuristes soi-disant supérieurs ; le soin apporté à la réalisation et à la direction artistique nous maintient dans une atmosphère ouatée, onirique, où l’on ne sait si la scène va nous faire rire ou nous émouvoir. Cette propension à balader le spectateur - sans le prendre pour un imbécile –fait non seulement de Sophie Barthes une auteur à suivre, mais aussi à célébrer derechef !

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