L'art, écho du monde

Parcours / Maryvonne Arnaud présente au CHRD une installation photographique sur le peuple tchétchène et le traumatisme de deux guerres atroces. L'occasion pour nous de parler de ces artistes qui sortent de leur bulle pour arpenter le monde et son actualité... Jean-Emmanuel Denave

À l’heure du succès littéraire de l'autofiction et du repli sur soi de certains artistes contemporains, n'oublions pas que d'autres écrivains, cinéastes ou plasticiens tentent encore de nous parler du «monde», des enjeux politiques contemporains, des guerres, des luttes... Avec cette difficulté : que peut bien apporter leur regard à l'heure du flux informationnel en continu et des reportages télévisés ? Il y a bien sûr des exemples artistiques honteux, comme celui de Slumdog Millionaire de Danny Boyle, prenant pour prétexte la misère en Inde (quel sujet plus consensuel pour faire pleurer dans les chaumières ?) afin de tourner un vidéo-clip de deux heures, techniquement parfait, éthiquement immonde... À ce cynisme mélo et infantile, on pourrait opposer le film choral et puissant de l'Algérien Tariq Teguia, Inland. Une œuvre époustouflante aux choix esthétiques tranchés, capable de transmettre par les sensations et l'intellect quelques chose de l'Algérie, de sa géographie, de son passé intégriste récent et toujours menaçant, de sa crise démocratique. C'est aussi une forme chorale, une symphonie des temporalités, dont use l'écrivain Stéphane Audéguy dans Nous Autres pour dire quelque chose du Kenya contemporain, de la colonisation ancienne, ou de la bêtise satisfaite du petit anthropologue étudiant ses bons sauvages. Dans Inland comme dans Nous autres, la forme artistique ne tourne pas en rond sur elle-même (ça, c'est Slumdog), mais s'ouvre au réel et, surtout, crée des liens inédits entre l'individuel et le collectif, la géographie et l'histoire, l'affect et le politique. Nous n'y regardons pas un objet virtuose pour en retirer une petite jouissance dérisoire, mais ça nous emporte, ça nous entraîne, ça nous regarde... L'artiste nous transforme alors en êtres regardés dans le spectacle du monde.Tchétchénie mon amour
En 2004, le festival ‘Lyon Septembre de la photographie’ présentait le travail de Stanley Greene sur les deux guerres de Tchétchénie. Dans la lignée d'un Robert Capa, ce photographe prenait des risques inconsidérés pour montrer les bombardements, le sang des civils, la fierté d'un peuple, ses cicatrices... Et rappeler incidemment qu'un ancien membre du KGB avait promis de ‘butter les «terroristes» jusque dans les chiottes’, tandis que certains dirigeants européens lui tendaient la brosse à récurer, espérant en récupérer les gaz. Chez Stanley Greene, l'objectif vissé dans l'horreur de la guerre, «les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri», pour citer René Char. Au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation, l'artiste Maryvonne Arnaud adopte, sur les deux guerres de Tchétchénie, un point de vue un peu plus distant, posé, sans pour autant se réclamer d'une quelconque objectivité. Son travail est avant tout artistique et, comme chez Greene, relève principalement de l'empathie avec les victimes, les réfugiés tchétchènes en particulier. Résitance
Au CHRD, elle présente une installation constituée de plusieurs séries d'images prises à Grozny (mais aussi d'enregistrements sonores et de textes), ou dans des camps de réfugiés d'Ingouchie, de Pologne et de Turquie. Volontairement, les photographies sont «mélangées», les lieux et les dates de prises de vue n'étant indiquées que discrètement. On retrouve ici une forme artistique «chorale» et éclatée, cherchant à établir des liens entre les ruines des bombardements, la reconstruction-propagande de Grozny, les enfants et les femmes éparpillés aux quatre coins de l'Europe... L'artiste à la fois invente et témoigne d'un peuple, refoulé et résigné après deux conflits d'une violence inouïe. «Dans mon installation, tout est mixé, c'est un labyrinthe où le passé et le présent se superposent, comme ils se superposent et se mélangent dans la tête des Tchétchènes». Les images montrent à la fois l'ennui, le quotidien dans de minuscules appartements, les traces de la guerre, la volonté sournoise et politique de les effacer, la vie qui reprend son cours comme avec ces jeunes étudiantes coquettes et sexy, prises sur le vif dans la rue... Les moyens de l'artiste pour «dire le monde» ressemblent au roseau : ils sont peut-être faibles (des images, des sensations, un montage, des choix), mais résistent et ne plient pas.Maryvonne Arnaud, «Tchétchènes hors sol»
Au CHRD, jusqu'au 20 septembre
Mais aussi :
Stéphane Audéguy, Nous autres, Gallimard (l'auteur sera présent aux Assises Internationales du roman à Lyon le 30 mai)Stanley Greene, Photo Poche, 2008, Actes Sud.

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Jeudi 30 avril 2009 Entretien / Maryvonne Arnaud, photographe et plasticienne présente «Tchétchènes hors-sol », une exposition sur les guerres tchétchènes et les conditions de vie des réfugiés au CHRD. Propos recueillis par Dorotée Aznar

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