Martha Spinoux-Tardivat, la pétillante nouvelle directrice des Clochards Célestes

Théâtre / À 34 ans, Martha Spinoux-Tardivat vient d’être nommée directrice des Clochards Célestes, où elle exerçait déjà en accompagnant avec entrain tant les artistes que les spectateurs et spectatrices. Portrait.

Depuis six années, Martha Spinoux-Tardivat est un phare aux Clochards Célestes. Enjouée, professionnelle tant à l’égard des compagnies invitées que du public, des professionnels et des étudiants qui parfois font halte pour leur formation dans ce théâtre de 49 places. Martha est arrivée sous l’ère d’Élisabeth Saint-Blancat et aura prolongé son apprentissage aux côtés de Louise Vignaud dans la foulée. Le 27 août dernier, elles étaient réunies sur la place Chardonnet pour un hommage à la comédienne-directrice décédée d’un cancer six jours plus tôt. Une cérémonie simple, chaleureuse et émouvante pour celle qui porta haut, de 1986 à 2017, cette maison fondée en 1978.

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Alors, quand Louise Vignaud a décidé de se recentrer sur son travail en compagnie, qui d’autre qu’elle ? Nous ne sommes pas les seuls, par cette question, à affirmer que Martha Spinoux-Tardivat est une directrice évidente pour le Théâtre des Clochards Célestes. Elle prendra son poste en septembre, après avoir été élue à l’unanimité du conseil d’administration et validée par les tutelles.

« Ce théâtre a été créé dans les années 70 pour accueillir de jeunes compagnies et les aider à progresser. Et cette mission est toujours d’actualité. J’aime cette fidélité au projet » nous dit Martha de ce lieu, en même temps que son « attachement à Élisabeth qui [lui] a vraiment tout appris, à regarder un spectacle, à faire des retours. Les Clochards sont le premier théâtre que j’ai découvert en arrivant à Lyon en 2007, et je me suis dit que ce serait tellement chic de travailler dans un endroit qui s’appelle comme ça. Le nom m’a interpellée. Il m’a dit "viens vite". C’est lui qui m’a appelée. Il m’a dit "regarde, ça c’est un truc qui t’intéresse, les clochards et les célestes" ! » se souvient-elle avec bonheur.

De l'Espace 44 aux Clochards Célestes

C’est au collège que Martha Spinoux-Tardivat découvre véritablement le théâtre, grâce à l’éducation artistique mise au cœur du projet pédagogique de son établissement à Tours. Ses parents, documentaliste et cadre infirmier en psychiatrie, lui transmettent le goût pour les pratiques culturelles mais pas spécialement celui du théâtre. Elle suit des cours dispensés au collège par les artistes du Centre dramatique régional (devenu national en 2017). Elle découvre Molière, Karl Valentin puis Jodorowsky, Lagarce, Koltès. « Ce qui m’intéressait vraiment à cette époque-là n’était pas tant de voir des spectacles mais de jouer ». Elle foule le plateau : « entre 10 et 15 ans je veux être comédienne, mais je me suis rendue compte ensuite que ce qui m’intéressait était non pas qu’on me regarde mais de m’occuper des artistes. »

Cap alors sur Lyon pour se former à un métier lui permettant de travailler auprès des artistes et des publics. Ce sera l’EAC, école privée d’art et culture. Des cours, un stage et du bénévolat pour découvrir comment se maille la culture à Lyon (à À Thou Bout d’Chant, au projet du CCO Théât’Réalités, à Reperkusound, aux week-ends des Subsistances "Ça Tchatche", et au projet Vidrio qui exposait des artistes dans des vitrines de locaux vacants dans les pentes de la Croix-Rousse). Elle croise donc les disciplines artistiques, mais son ADN est théâtral et son premier emploi est à l’Espace 44, une rue en-deçà des Clochards Célestes. Embauchée à la communication, elle prêtera main forte à la billetterie et à la chargée de relation avec les publics. Manquait une corde à son arc : le lien avec les compagnies. Ce sera chose faite lorsqu’elle rejoint les Clochards Célestes en 2015, au poste de "coordination générale, communication et relations publiques". « Ici j’ai appris très très fort qu’un lieu qui accueille de jeunes compagnies ne se contente pas de juste leur donner des dates. Il faut les accompagner sur tous les plans car, quand ils sortent de formation, les comédiens et metteurs en scène savent des choses qui ne sont pas en lien avec la réalité du terrain ».

Laisser du temps aux artistes

Peu à peu, elle épaule Louise Vignaud pour défricher des nouveaux travaux et compagnies émergentes et intègre le jury des Envolées (dispositif grenoblois de production de premier spectacle), assiste au WET (festival très repéré dans la profession dédié à la jeune création et organisé par le Centre Dramatique National de Tours), se rend à la Route des 20 (groupe des 20 scènes publiques — plus nombreuses désormais — de la région qui organise chaque début d’année des rencontres professionnelles).

« C’est important de voir des travaux hors de Lyon car, en restant ici, on voit des choses uniformisées. On sait un peu comment les élèves jouent en sortant du Conservatoire ou de l’ENSATT, il y a des façons de faire. Et comme il y a énormément de propositions ici, on voit le haut du panier. En allant ailleurs, on se rend compte que l’exigence qu’on a est ultra forte car il y a beaucoup de concurrence et on se rend compte alors qu’on attend un grand professionnalisme de ces personnes qui ont juste un an d’expérience alors qu’on devrait leur laisser le temps, parfois, de se planter. »

Saison annulée, avenir à penser

Aujourd’hui le théâtre, comme tous les autres en France, est fermé. Le 3 février, Louise Vignaud a même été la première — la seule pour l’instant — à décider d’annuler tout le reste de la saison, par respect pour les artistes : « attendre le mois de mai pour savoir s'il sera possible ou non de jouer en juin, c'est demander aux compagnies programmées de se maintenir dans le qui-vive ; leur proposer d'ores et déjà un report, c'est leur offrir la possibilité de penser l'avenir. Et c'est nous l'offrir aussi » déclarait-elle dans un communiqué.

« Avec le Covid, j’ai un peu l’impression d’avoir monté une permanence de soutien psychologique. Comme beaucoup de gens viennent répéter et qu’on est moins speed que d’habitude, on a énormément de temps pour vraiment se parler » confie Martha. « C’est très agréable. On est vraiment devenu une maison. Beaucoup d’artistes passent pour papoter, prendre le café. C’est très important de dialoguer ensemble. On a proposé aux compagnies associées d’avoir un temps pour échanger des difficultés qu’elles rencontrent, de ce qu’elles ont mis en place pour leurs pratiques. Ça fait du bien à tout le monde de ne pas être isolé. L’isolement rend fou. On voit bien quelques spectacles mais c’est tellement triste sans public, ce n’est pas la solution. »

C’est désormais à Martha Spinoux-Tardivat d’inventer l’avenir de ce lieu au sortir de la crise sanitaire. Dans son projet, elle annonce une continuité avec le précédent, en énonçant notamment la volonté d’accueillir des artistes en résidence sur des temps plus longs. Louise Vignaud accompagnait cinq compagnies sur deux années, ce sera désormais trois sur trois ans avec chaque année, une qui entre dans le dispositif et une autre qui en sort. Peut-être même que ces compagnies seront associées à un comité de programmation. Souvent trop cadenassée à l’avance, et d’autant plus bousculées par cette période inédite, les saisons contiendront des plages vierges afin de pouvoir faire place à une « carte blanche à une compagnie en fonction de l’actualité, un spectacle découvert dans la saison, un report de spectacle lié à un imprévu... »

Le travail collaboratif sera aussi de mise notamment avec la poursuite du lien avec le festival En Actes ou un partenariat avec La Basse-Cour qui invitera les Clochards dans leur festival qui se tient en plein air l’été dans l’amphithéâtre des 3 Gaules. Être un tremplin de la scène lyonnaise est bien la vocation première de cette Scène découverte régulièrement fréquentée par les programmateurs, tutelles et autres professionnels du spectacle vivant. Mais Martha Spinoux-Tardivat ne néglige pas le niveau régional — elle voit des liens à construire avec Le Caméléon à Pont-du-Château dans le Puy-de-Dôme —, voire nationaux.

Avec un nouveau grill technique et des gradins refaits l’été dernier, le théâtre n’attend que de pouvoir rouvrir. Depuis mars 2020, seuls quatre spectacles ont pu être présentés et « c’est déjà énorme par rapport à beaucoup de salles ! » comme l’affirme Martha avec justesse et sidération. Auprès des quatre autres salariés, elle va continuer à faire tourner ce lieu dès que possible. Le théâtre fonctionne avec 200 000€ de budget, dont 40% de subvention (de la Ville de Lyon essentiellement) et 60% de fonds propres. Le "disponible artistique" est très faible (1000€ pour chacune des cinq compagnies associées) mais avec cela, Martha entend perpétuer le miracle de ce théâtre qui n’a pas volé son label de Scène découverte tant il y a de fourmillement et d’idées ici. Pour l’instant confinées. Mais pas éternellement.

Théâtre des Clochards Célestes
51 rue des Tables Claudiennes, Lyon 1er

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