Adresse inconnue

Mercredi 16 février 2005

de Kim Ki-Duk (Corée du Sud, 1h57) avec Yang Dong-kun, Ban Mi-jung...

Étrange sensation de voir débarquer près de quatre ans après sa réalisation un film que l'on considère déjà comme un classique, en tout cas comme l'œuvre la plus forte et la plus représentative du nouveau cinéma sud-coréen. Son metteur en scène, Kim Ki-duk, a depuis tourné une bonne demi-douzaine de films, certains marquants, d'autres dispensables ; mais aucun n'arrive à la cheville d'Adresse inconnue. Kim y empoigne littéralement la situation de son pays au lendemain de la guerre, avec une galerie de personnages à la fois pittoresques et tragiques qui rappellent par leur énergie désespérée les héros de Kusturica dans Underground. Mais à la différence du cinéaste serbe, Kim Ki-duk n'est pas là pour orchestrer en fanfare le naufrage de son pays, mais pour lui composer un requiem en forme de gymnopédie (Satie berce d'ailleurs la bande-son du film). Ce qui est beau dans Adresse inconnue, c'est que ses métaphores (l'œil crevé par exemple, qui figure la partition de la Corée entre nord et sud) sont aussi magnifiques dans leur littéralité (la douleur de ces enfants borgnes est vraiment poignante). Ces chassés-croisés orchestrés d'un drame à l'autre ne sont pas que des constructions adroites de scénariste malin agençant des vignettes signifiantes, mais un vrai défi de cinéaste qui cherche à dessiner un monde en lambeau, socialement atomisé, où l'on ne sait plus qui et où on est. Un monde dont l'essence cyclique et tragique se matérialise à travers un cercle de larmes et de feu, image fulgurante qui conclut ce pur chef-d'œuvre.CC