Resnais l'insoumis

Mercredi 20 février 2008

L'Institut Lumière consacre une grande rétrospective à Alain Resnais, dont l'œuvre d'une indiscutable modernité s'est développée en dehors des standards français, ce qui en fait un cas rare de cinéaste populaire et expérimental.Christophe Chabert

Photo : DR

En 1959, le cinéma français connaît sa révolution copernicienne : Truffaut avec Les 400 coups, Godard avec A bout de souffle et Chabrol avec Le Beau Serge et Les Cousins, tournent leurs films loin des studios et des corporatismes, avec des acteurs neufs, une libre grammaire de la mise en scène et des constructions narratives inédites. Rapidement, la Nouvelle Vague devient un parangon de modernité. On lui associe à la va-vite un certain nombre de cinéastes qui tournent au même moment leurs premiers films : Jacques Demy, Agnès Varda, Chris Marker et Alain Resnais. Pourtant, cette «rive gauche» du cinéma français n'a que peu à voir avec leurs camarades de la «rive droite». Plus conceptuels dans leurs récits, plus expérimentaux dans leurs mises en scène, plus progressistes dans leur vision du monde, ils sont en fait le pendant cinématographique du «Nouveau roman». Alain Resnais, pour ses deux premiers longs-métrages, s'associera d'ailleurs à deux figures majeures de ce courant littéraire : Marguerite Duras (Hiroshima mon amour) et Alain Robbe-Grillet (L'Année dernière à Marienbad). Moins auteur que pur metteur en scène (c'est ainsi qu'il signe ses films), Resnais prend dès ses débuts des distances avec le réalisme Nouvelle Vague : son cinéma est du côté de l'imaginaire, de la poésie, de l'invention plastique et visuelle.Un précurseur à contretempsEn cela, Resnais a tout de suite une longueur d'avance. Les lents travellings abstraits dans les jardins de Marienbad, sa logique temporelle éclatée qui conduit à une narration fragmentée et labyrinthique, n'est pas si éloignée des expérimentations menées, trente ans plus tard, par un David Lynch ! Et quand il s'inspire d'un roman culte d'Adolfo Bioy Casares, L'Invention de Morel, pour en tirer un film crucial et encore sous-estimé, Je t'aime, je t'aime, il prépare surtout le terrain à une des grandes comédies conceptuelles des années 90, le fameux Un jour sans fin... Précurseur autant que passeur d'idées, Resnais est un artiste du contretemps. Dans les sujets qu'il choisit d'abord : il signe très tôt des films politiques, genre en pleine disgrâce (La Guerre est finie et Muriel) et montre le dessous du monde des affaires dès 1973 avec Stavisky. Mais ce sont surtout les partis-pris esthétiques, les approches conceptuelles et les références utilisées dans ses œuvres qui montrent le côté visionnaire de Resnais. Il réinvente ainsi le cinéma en-chanté en incluants des tubes à la place des dialogues dans On connaît la chanson. Alors que les studios sont désertés par les cinéastes et que le théâtre filmé est une injure cinématographique, il réalise le tour de force de filmer une pièce en huis-clos avec le superbe Mélo, puis de pousser encore plus loin ce «réalisme factice» dans Smoking et No Smoking, diptyque sur le hasard et le déterminisme interprété par deux acteurs jouant tous les rôles. Enfin, tandis que la bande-dessinée est encore regardée de haut par l'intelligentsia, il tourne I want to go home, déclaration d'amour (un peu loupée quand même) au neuvième art.Vieillir avec ses acteursDe décennie en décennie, Alain Resnais n'hésite pas à changer d'auteurs pour écrire ses films ou adapter les pièces de théâtre qu'il affectionne, misant souvent sur les meilleurs chevaux (Semprun, Gruault puis le tandem Bacri et Jaoui). En revanche, il décide à partir des années 80 et de La Vie est un roman, de se créer une véritable troupe d'acteurs : le quatuor Pierre Arditi, Sabine Azéma, Fanny Ardant, André Dussollier s'étoffera ensuite (Lambert Wilson devient «pensionnaire» de la maison Resnais à partir d'On connaît la chanson). Cela lui permettra de tourner la partie la plus cohérente et personnelle de son œuvre, notamment ce chef-d'œuvre noir qu'est L'Amour à mort, film radical, fort et bouleversant. Mais, depuis Pas sur la bouche, c'est aussi devenu un handicap, tant les acteurs semblent parfois avoir largement dépassé l'âge de leurs rôles. Si le cinéma de Resnais prend toujours des risques, il est aussi devenu légèrement vieillot et suranné. À la fantaisie inventive des débuts a succédé une forme de gravité mélancolique qui atteint des sommets dans Cœurs, film dépressif et fantomatique, impressionnant de maîtrise mais asphyxiant de désespoir. Mais quand on le compare avec les derniers Chabrol, Rohmer ou Rivette, il n'y a toujours pas photo : Resnais, lui, est resté ce cinéaste franc-tireur, inclassable et pourtant indiscutablement populaire.Rétrospective Alain ResnaisÀ l'Institut LumièreJusqu'au 5 mars