Braque-Laurens : échos, écarts

par JED
Mercredi 2 novembre 2005

Expo / L'exposition Braque-Laurens est un bel exemple de ce qui se fait de mieux dans un musée des beaux-arts : une tranche d'histoire de l'art présentée avec sérieux, à travers une mise en espace sobre et intelligente.Jean-Emmanuel Denave

L'exploration du dialogue entre les œuvres de Georges Braque et celles d'Henri Laurens ne nous est pas assené avec la lourdeur d'un rouleau compresseur didactique, mais il est au contraire ouvert au regard et à la curiosité du visiteur. Et ce, grâce à un découpage en petites salles thématiques et chronologiques, "trouées" de perspectives ou de fenêtres ouvrant discrètement sur les salles et les œuvres voisines et invitant ainsi le regard à effectuer par lui-même des liaisons, des comparaisons, voire à remarquer de fortes divergences... L'exposition débute par une des premières œuvres de Braque et une des dernières de Laurens : paradoxalement, le Grand Nu (1907) du jeune Braque s'avère assez proche de la sculpture en bronze du vieux Laurens (une femme nue allongée) : de la chair, des formes généreuses, deux femmes callipyges. En un sens, les deux artistes auront connu des parcours inversés... Braque effectue ses premiers pas sur les traces des Fauves (Matisse, Derain...), puis peu à peu s'éloigne d'une palette vive et de sensations lyriques, pour se plonger avec sérieux dans des problèmes de peinture, casser la représentation picturale traditionnelle avec le cubisme ou le collage, ou encore se coltiner avec des problèmes d'espaces cloisonnés, sombres et déstructurés. Son Grand Nu est d'ailleurs prémonitoire : certes ses formes sont généreuses, mais son regard "vide" est réduit à deux cernes noirs : c'est moins avec les yeux de la chair qu'avec ceux de l'esprit que l'artiste œuvrera. Laurens, quant à lui, ira vers la libération et la générosité de la forme, le mouvement, la puissance de la vie...Une histoire de cubeLes œuvres des deux amis se croiseront surtout au moment du cubisme, dont Braque lui-même est, avec Picasso, l'initiateur. C'est le Braque archi-connu des femmes à la guitare ou des compotiers cubistes grisâtres (une salle entière y est consacrée). Mais c'est aussi le Braque inventeur des papiers collés, autre façon de faire voler en éclats l'espace pictural... Laurens, d'abord élève ébahi du cubisme, effectuera des "copies" cubistes (perdues pour la plupart), mais aussi des collages originaux dialoguant avec ceux de Braque. Toujours dans un esprit cubiste, on découvrira avec bonheur ses "assemblages" de tôle, de carton et de bois : des bouteilles ou des personnages réalisés avec beaucoup d'humour. Après le cubisme, fini de rire, c'est la période du "retour à l'ordre" et à un certain classicisme : une grande salle y est consacrée où l'on verra un Laurens sérieux comme un pape et un Braque ennuyeux à souhait. Il suffit alors de gravir quelques marches pour accéder à la partie la plus forte de l'exposition : la période surréaliste, puis les deux voies divergentes suivies par chacun des artistes. Avec, par exemple, cette belle enfilade de petites sculptures de Laurens où tout n'est que transformation, métamorphose, élasticité et auto-engendrement des formes... Ou bien ses grandes sculptures disséminées ici et là, toujours aussi généreuses et étonnantes. Braque, lui, s'enfonce dans une palette sombre et des espaces confinés : la salle dédiée à ses intérieurs est aussi asphyxiante que passionnante par ses expérimentations plastiques et spatiales osées. Entre deux salles, vous pourrez découvrir aussi une multitude de petites œuvres faussement mineures : des eaux fortes où Braque le cérébral libère sa fantaisie ; des dessins superbes de Laurens rehaussés de gouache, dont cette Femme accroupie (1950) qui, selon nous, constitue l'œuvre la plus poignante de l'exposition...Braque/Laurens, un dialogueAu Musée des Beaux-ArtsJusqu'au 30 janvier