Vaches maigres cannoises
Festival de Cannes / La deuxième partie du festival de Cannes n'a pas plus convaincu que la première avec une compétition faiblarde et des sections parallèles pauvres en découvertes. Du coup, deux cinéastes ont emporté l'adhésion : Lee Chang-dong et Apichatpong Weerasethakul. Christophe Chabert

En prenant un peu de champ et en élargissant le bilan aux sections parallèles - Un certain regard surtout, décevant lui aussi - on constatait un retour en force du cinéma d'auteur mondialisé, reposant sur des principes esthétiques verrouillés et peu productifs, sinon excluants. À ce titre, difficile de faire pire que Rebecca H, déception majeure tant le jusqu'ici brillant Lodge Kerrigan s'y complait dans une pénible dissertation arty, véritable hold-up avec kidnapping de son actrice principale Géraldine Pailhas. Par ailleurs, Kaurismaki et Suleiman ont fait des émules en Hongrie (Pal Adrienn) ou au Pérou (Octubre des frères Vega) tandis que Gus Van Sant semble être devenu l'horizon des jeunes cinéastes américains (Two gates of sleep versant Gerry, The Myth of the American sleepover versant Elephant, auquel le très bizarre premier film français Simon Werner a disparu se référait aussi). Dans ce contexte, deux films ouvertement commerciaux ont séduit par leur efficace modestie : Blue Valentine de Derek Cianfrance, mélodrame cruel porté avec talent par le duo Ryan Gossling / Michelle Williams, et surtout le percutant Carancho, où l'Argentin Pablo Trapero change de registre et de braquet pour un thriller nerveux, carré, violent et très maîtrisé.Quelques grammes de poésie
En résumé, entre une compétition agrégeant l'académisme mou et le cinéma Télérama et des sections parallèles rongées par des films plus hautains que d'auteur, le spectateur n'est pas souvent sorti vainqueur de ce festival. Cela a rendu d'autant plus nécessaires les deux seuls films majeurs de la compétition, Poetry de Lee Chang-dong et Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures d'Apichatpong Weerasethakul. Aussi différents soient-ils, ils proposaient chacun une vision généreuse du cinéma. Poetry, le film le plus complet et abouti du festival, fait surgir dans un récit imprévisible, mélodramatique mais jamais démonstratif, une poésie d'autant plus subtile qu'elle ne se confond pas avec la quête du personnage principal, une grand-mère malade qui s'entête à écrire un poème pendant que sa vie se délite dans une série de drames. Quant à Oncle Boonmee, il offrait une des rares portes vers l'imaginaire pur, comme un conte pour enfants traversé par des pulsions libidinales, oniriques et métaphysiques. Si le film est contemplatif, on y trouve une conscience aiguë de la position du spectateur, notamment dans la manière dont Weerasethakul introduit l'humour dans son récit. On entre dans cette jungle hantée par les fantômes et les êtres mystérieux avec une déconcertante facilité, et on en sort avec un mélange de plaisir et de mélancolie, mais surtout avec le sentiment d'avoir vécu une expérience de cinéma unique, justifiant sur le tard les dizaines d'heures passées dans les salles cannoises.