La preuve des heures supplémentaires

par Me Sandrine Poncet
Publié Lundi 13 octobre 2025

À l'heure où l'intérêt de contester judiciairement une mesure de licenciement s'est, dans bien des cas, amoindri en raison de l'application des barèmes légaux d'indemnisation, la durée du travail et plus particulièrement la question des heures supplémentaires devient un élément crucial et récurrent dans les contentieux prud'homaux.

Une charge de la preuve partagée entre employeur et salarié...

L'article 9 du Code de procédure civile dispose qu'il appartient à la partie qui est à l'origine d'une demande d'apporter les preuves pour justifier cette demande. Une application de ce principe voudrait donc qu'il appartienne au salarié de prouver la réalisation de ses heures supplémentaires et le quantum réalisé.

Dans un souci de protection des droits des salariés, considérés comme étant en position de faiblesse par rapport aux employeurs, le Code du travail est venu aménager cette charge de la preuve en ne la faisant plus reposer uniquement sur le demandeur.

Ainsi, l'article L.3171-4 du Code du travail dispose qu' « en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Dans le cadre de son interprétation de ces dispositions, la Cour de cassation a posé un principe selon lequel la charge de la preuve en matière d'heures supplémentaires ne repose pas particulièrement sur l'une des deux parties, mais qu'il appartenait au salarié demandeur d'apporter au juge « des éléments suffisamment précis [...] de nature à étayer sa demande afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement ».

Ainsi, le salarié n'a pas à rapporter la preuve des heures supplémentaires réalisées mais juste à apporter des éléments suffisamment précis laissant penser qu'il a réalisé les heures alléguées.

Dans la suite logique de cette position, la Cour de cassation est venue préciser que le salarié ne pouvait être débouté de sa demande de rappel de salaire au seul motif qu'il n'apportait pas la preuve tangible et certaine d'avoir réalisé des heures supplémentaires ni le quantum d'heures réalisées.

En cas d'insuffisance des éléments produits par le salarié, le juge ne doit pas le débouter sur ce simple constat, mais il doit les confronter aux éléments apportés par l'employeur et prendre sa décision selon son intime conviction (Cass. soc. 27-1-2021 n° 17-31.046 précité).

Il importe donc peu que le salarié n'apporte que des éléments pouvant être jugés comme légers. En l'absence d'éléments contraires apportés par l'employeur, sa demande sera accueillie. C'est ainsi qu'a statué la Cour de cassation dans un arrêt très récent du 15 janvier 2025. Dans de telles conditions, il est assez difficile de parler d'une charge de preuve partagée de manière égalitaire entre les parties.

... mais de manière inégale

La question centrale qui se pose est donc de savoir ce que recouvre la notion « d'éléments suffisamment précis pour étayer sa demande » que devrait fournir le salarié.

L'évolution de la jurisprudence dans l'appréciation de cette notion est, de manière constante, favorable au salarié et conduit finalement à une sorte de renversement de la charge de la preuve.

Il n'est pas utile de rappeler au préalable qu'en la matière, la preuve est libre, de sorte qu'elle peut être apportée par tout moyen, notamment par la production d'attestations de témoignage, de relevés d'autoroute, d'alarme, d'extraits d'agenda, ou encore de courriels professionnels adressés de manière matinale ou tardive.

Dans les faits, l'élément le plus souvent produit est le décompte d'heures établi unilatéralement par le salarié. Si au départ, la jurisprudence avait une certaine exigence sur le contenu de ces décomptes, requérant notamment que le décompte produit soit précis (mention des heures travaillées, des temps de pause), établi au fil des jours et confirmé par des éléments extérieurs, elle est par la suite devenue nettement moins exigeante en retenant des décomptes établis a posteriori par le salarié, mais également des décomptes peu précis, ne mentionnant pas les temps de pause, ne distinguant pas les heures de trajet et ne faisant aucune référence aux horaires de travail.

Très récemment, la Cour de cassation a même considéré comme suffisamment précis un décompte établi par le salarié qui ne mentionnait qu'un temps de travail par jour travaillé, sans aucune référence aux horaires de travail réalisés, ni justification de la prise en compte des temps de pause et sans la production d'éléments complémentaires venant confirmer le contenu de ce décompte (Cass. soc. 28-2-2024 n°22-23.047 F-D).

La valeur donnée à un tel document, établi par le salarié lui-même, interroge réellement sur la réalité du partage de la charge de la preuve.

En tout état de cause, la production d'un décompte des heures supplémentaires, pour en demander le paiement, n'est pas exigée par la jurisprudence et ne constitue pas un préalable indispensable à toute indemnisation.

La demande peut être étayée par tout autre élément, et notamment par la production de courriels adressés par le salarié en dehors de ses heures officielles de travail. Alors que ces envois peuvent découler de l'unique volonté du salarié de se forger lui-même des preuves, la Cour de cassation a jugé que ces courriels devaient être considérés comme suffisamment précis pour fonder une demande de paiement d'heures supplémentaires. Ainsi, la Cour de cassation a censuré une cour d'appel pour avoir débouté un salarié de sa demande de paiement d'heures supplémentaires au motif que le salarié n'apportait pas la preuve d'avoir effectué des heures complémentaires à la demande de son employeur, et qu'en particulier les envois de courriels à des heures tardives, sans urgence, ne permettaient pas d'étayer la réalité d'un travail continu à la fin de l'horaire théorique ou le week-end (Cass soc 28 février 2024, 22-22.506).

La position de la cour est à tout le moins audacieuse lorsqu'on parle de courriels adressés par le salarié de son seul fait, sans que l'employeur n'en ait été informé, et ce, alors qu'aucune urgence ne justifiait leur envoi.

Ces dernières jurisprudences récentes doivent nécessairement conduire l'employeur à être prudent et à attacher une attention particulière au suivi des temps de travail de ses salariés.

Une nécessaire anticipation par les employeurs

L'évolution de la jurisprudence conduit donc de plus en plus à mettre la charge de la preuve du temps de travail sur l'employeur. Ce dernier peut difficilement envisager d'échapper à toute condamnation par la simple faiblesse du dossier du demandeur ou encore par la simple production d'attestations de témoignage, ou encore par l'évocation d'éléments issus de la vie privée du salarié. Il ne peut également plus se réfugier derrière un horaire collectif applicable au sein de l'entreprise, et ce, encore plus quand le formalisme attaché à cet horaire n'a pas été respecté.

Le seul moyen pour l'employeur de se protéger efficacement contre ce type de demande est la mise en place d'un suivi précis, individuel et fiable du temps de travail de son personnel (système de badgeuse ou déclaration du salarié contrôlée par un responsable), avec une conservation de ces données durant une période d'au moins trois ans. Un tel suivi peut paraître fastidieux et chronophage, mais la mise en place de ce type de procédure est la seule réelle protection contre un risque de condamnation qui peut rapidement survenir.