L'habilitation familiale : une aide juridique pour protéger un proche fragile

par Me Élise Régnier
Publié Vendredi 17 octobre 2025

Quand une personne n'est plus en mesure de pourvoir seule à ses besoins, l'habilitation familiale permet à ses proches de l'accompagner dans la gestion de sa vie quotidienne, sans recourir à une tutelle ou à une curatelle.

Quand un proche devient trop fragile pour gérer seul ses affaires, la famille se trouve souvent démunie. Comment l'aider à prendre des décisions, signer des documents ou défendre ses intérêts, sans tomber dans une lourdeur administrative insurmontable ? Dans certaines situations, les proches peuvent déjà agir dans le cadre légal, par exemple grâce aux règles classiques de représentation, aux droits et devoirs respectifs des époux ou aux dispositions des régimes matrimoniaux, ce qui permet souvent de pourvoir à l'essentiel.

Mais certaines décisions et certains actes ne peuvent être exécutés en lieu et place de la personne hors d'état de manifester sa volonté, comme la vente d'un bien immobilier ou la souscription d'un prêt important.

Depuis 2016, une mesure juridique spécifique existe en France : l'habilitation familiale. Moins contraignante que la tutelle ou la curatelle, elle vise à répondre à une double exigence : protéger la personne vulnérable tout en faisant confiance à ses proches.

Une alternative aux régimes classiques de protection

Traditionnellement, lorsqu'une personne n'est plus capable d'exprimer clairement sa volonté ou de gérer ses biens, la famille doit demander au juge une mesure de tutelle ou de curatelle. Ces dispositifs sont efficaces mais souvent lourds : comptes à rendre, actes soumis à autorisation du juge, contrôles réguliers... Pour des familles soudées et attentives, cette lourdeur peut sembler disproportionnée.

L'habilitation familiale a donc été créée pour alléger ces démarches. Elle repose sur un principe : si la famille est d'accord pour qu'un proche prenne en charge la représentation de la personne vulnérable, le juge peut habiliter ce membre de la famille, sans instaurer un suivi judiciaire permanent. Cette approche favorise la responsabilité collective et la continuité des décisions au sein de la cellule familiale.

Qui peut être protégé ?

La personne à protéger doit être atteinte d'une altération médicalement constatée de ses facultés mentales ou corporelles, l'empêchant de pourvoir seule à ses intérêts. Cela concerne, par exemple, les personnes âgées souffrant de troubles cognitifs, ou les adultes handicapés ayant besoin d'un accompagnement renforcé pour la gestion de leurs affaires.

Un certificat médical circonstancié, rédigé par un médecin inscrit sur une liste spéciale établie par le procureur de la République (disponible dans les tribunaux judiciaires), est indispensable pour saisir le juge.

Qui peut être habilité ?

Seuls les proches parents peuvent être habilités : conjoint, partenaire de Pacs, concubin, enfants, parents, grands-parents, petits-enfants, frères ou sœurs.

Dans certains cas, le juge peut désigner plusieurs personnes pour partager les responsabilités et garantir un contrôle interne entre les membres de la famille.

Une procédure simplifiée

La procédure démarre par une requête faite par un membre de la famille auprès du juge des contentieux de la protection (anciennement juge des tutelles) du lieu de résidence de la personne vulnérable. Le document présente l'identité de la personne à protéger, l'énoncé des faits qui justifient la mise en place de la mesure ainsi qu'un certain nombre de renseignements sur son patrimoine et son cercle familial.

L'objectif est de fournir au juge une vision complète de la situation, afin que la décision soit adaptée aux besoins de la personne et à la dynamique familiale.

Un modèle de dossier de demande d'habilitation est proposé sous forme d'un imprimé Cerfa disponible sur le site internet www.service-public.fr.

Le dossier doit également contenir :

- un certificat médical circonstancié établi par un médecin expert,

- les pièces d'identité des personnes concernées,

- un justificatif du lien familial,

- un justificatif de domicile.

Le juge examine le dossier, entend la personne à protéger si son état le permet, le ou les proches candidats à l'habilitation ainsi que l'entourage familial. Cette audition permet de vérifier la capacité de la personne à comprendre la mesure et de s'assurer que l'accord familial est réel. L'accord de la famille est essentiel : en cas de désaccord marqué, la mesure peut être refusée.

Dans sa décision le juge désigne la ou les personnes habilitées, précise l'étendue de leurs pouvoirs et fixe la durée de l'habilitation. Cette durée peut être limitée ou renouvelable selon l'évolution de la situation de la personne protégée.

Quelle est l'étendue de l'habilitation ?

L'habilitation peut être :

- spéciale : limitée à certains actes précis (par exemple : gérer un compte bancaire, choisir un lieu de vie, donner un accord médical, vendre un bien immobilier) ;

- générale : couvrant la plupart des décisions relatives à la personne et à ses biens.

Dans le cadre d'une habilitation générale, la personne habilitée peut gérer les revenus, régler les dépenses, souscrire une assurance, signer des contrats, vendre un bien ou même souscrire un emprunt si cela sert les intérêts de la personne protégée. Elle peut également représenter la personne auprès des administrations, des établissements de santé ou des organismes sociaux.

En revanche, certains actes sensibles, comme le mariage, le divorce ou une donation nécessitent toujours l'autorisation du juge.

De plus, le logement de la personne protégée, principal ou secondaire, ainsi que les meubles le meublant, ont un statut spécial et leur vente nécessite toujours l'autorisation du juge des tutelles. Ces limites protègent le patrimoine essentiel de la personne et préviennent les décisions irréversibles prises sans contrôle.

Les avantages de ce dispositif

Pour la famille, l'habilitation présente de nombreux atouts :

- une procédure allégée et plus rapide qu'une tutelle ;

- moins de contraintes administratives, car il n'y a pas de comptes annuels à transmettre ;

- une relation de confiance valorisée, puisque le juge ne contrôle pas chaque acte ;

- une flexibilité, car le champ de l'habilitation peut être ajusté ;

Pour la personne protégée, c'est aussi une garantie de proximité : c'est un membre de la famille qui s'occupe d'elle, sans intervention trop intrusive de la justice. La personne conserve ainsi un lien humain et affectif fort avec ses aidants, ce qui contribue à son bien-être et à sa sécurité.

Publicité de la mesure

L'habilitation générale fait l'objet d'une mention en marge de l'acte de naissance de la personne protégée pour informer les tiers de son existence. L'habilitation spéciale, quant à elle, ne fait l'objet d'aucune publicité particulière. Cette différence vise à équilibrer la transparence et la confidentialité selon l'importance et la portée des actes habilités.

Une mesure humaine avant tout

L'habilitation familiale illustre une évolution du droit français : moins de bureaucratie, plus de confiance dans les solidarités familiales. Elle reflète l'idée que la protection juridique peut être efficace sans devenir un obstacle à la vie quotidienne. Cette mesure, encore peu connue du grand public, mérite d'être mieux comprise. Elle permet de trouver un équilibre entre la protection nécessaire de la personne vulnérable et la préservation de la simplicité dans la vie quotidienne de sa famille.

En définitive, l'habilitation familiale n'est ni un passe-droit, ni une formalité de pure forme. C'est un outil juridique pensé pour des familles soudées, capables d'assumer ensemble la responsabilité de protéger l'un des leurs. Elle s'inscrit dans une démarche de respect, de confiance et de responsabilisation des proches aidants.