Philippe Lioret, réalisateur exigeant de quelques-uns des plus beaux mélodrames français récents, il s'est emparé de la matière cinéma pour la plier à ce qui le touche, le remue, le choque. François Cau
Pourtant, pour Welcome, c'est un sujet de société qui a motivé Lioret : les conditions de vie des immigrés clandestins réfugiés à Calais, «qui est un peu notre frontière mexicaine à nous», «je trouvais que c'était un thème porteur d'une grande dramaturgie, qui pouvait donner naissance à un beau film». En phase de préparation, le réalisateur se rend donc sur place et se prend la réalité en pleine gueule. Les conditions de survie déplorables, les traques policières, la pression sur la population calaisienne souhaitant apporter secours aux clandestins, les numéros dessinés au marqueur sur leurs mains (dont le sinistre écho historique devrait résonner violemment à la vision du film...). Le réalisateur hésite face à cette misère humaine, semble renoncer à l'idée de l'exploiter sous forme de film commercial, mais finira par céder grâce aux encouragements des bénévoles calaisiens, qui ne souhaitent rien tant que cette réalité, abstraite et distante dans l'inconscient populaire français, soit connue de tous, dans toute sa redoutable absurdité. C'est dans les récits tragiques de ces mêmes bénévoles qu'il trouve la substance pour démarrer l'écriture de son histoire : celle d'un immigré parti traverser la Manche à la nage pour rallier l'Angleterre, cette «terre promise encore baignée de l'aura des fausses promesses de Margaret Thatcher sur la libéralisation du marché du travail». Les bénévoles sont toujours sans nouvelles de lui. Ne pas faire peur
Philippe Lioret crée un personnage à partir de cette histoire, lui accole une figure tutélaire se découvrant une humanité perdue en lui portant assistance. Leur relation et les desseins les animant empruntent aux dramaturgies usuelles du réalisateur, leur efficacité cinématographique est peut-être encore accrue. Mais le réalisateur n'en oublie pas pour autant sa toile de fond. Pour s'être confronté de près aux brutales réalités calaisiennes, son souhait de les retranscrire dans toute leur froide horreur demeure prégnant au fil de la conversation, ainsi que son incompréhension (pour rester poli) des politiques actuellement en vigueur en termes d'immigration. Au moment de clore l'entretien, Lioret se lève et ajoute un dernier mot. «Je dis que ce n'est pas un film politique, mais je ne parle que de ça finalement... J'ai fait ce film pour justement ne pas réaliser quelque chose de militant a priori, je voulais que ce soit romanesque. Il faut que je vous demande un service : essayez de mettre des paillettes, de ne pas rendre le film trop âpre, de ne pas faire peur. Parce que si ça fait peur, on l'aura fait pour rien et ça fera chier. J'ai envie que ça se diffuse au plus large pour que ça bruisse». La tirade a fait son effet et donc on le répète : qu'on le prenne sous l'angle politique ou romanesque, Welcome est avant tout un beau film !