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Portrait / Non, Joanna Newsom ne déboule pas sur scène avec une couronne de lauriers dans ses tresses de diva druidesse. Mais en donnant le la de cette rentrée musicale, quoi de plus normal que de faire honneur à cette muse descendue des étoiles ? Stéphanie Lopez

Si on réfléchit aux ingrédients naturels qui font toute la saveur d’un(e) grand(e) artiste, on pourrait citer, en vrac : le talent, bien sûr, mais aussi l’univers créé par le démiurge, son audace, sa singularité, son charisme, sa liberté… Rares sont ces êtres accomplis à même de nous faire employer le mot génie, mais (c’est la bonne nouvelle de cette rentrée musique) Joanna Newsom en fait partie. La meilleure chose à faire pour s’en apercevoir est encore d’aller la voir, sur scène ; aller à l’Épicerie Moderne pour le constater de sa propre oreille : cette fille a tout pour elle. Non contente d’être belle, ce qui ne gâche rien, elle sidère surtout en concert par son jeu virtuose à la harpe, son univers unique, entre lutine baroque et luciole lyrique, le tout conjugué aux prouesses vocales d’une diva magistrale. Rare donc, le génie de Joanna n’en est que plus précieux : jusqu’ici elle n’a jamais donné en France que trois concerts à Paris (dont le dernier, fin mai, pour l’ouverture de Villette Sonique). Pas ou peu d’interviews, un défilé occasionnel pour Armani : à quelques exceptions près, cette fée new folk fait sa promo quand ça lui chante, et ce qui lui chante, c’est surtout sa harpe et ses caprices de cantatrice extravagante. Car Miss Newsom n’a sans doute cure des émotions tranchées que sa musique procure. Harpie fofolk pour les uns, harpiste elfique pour les autres, sa voix tantôt caprine tantôt solaire provoque souvent des réactions binaires. 0 ou 1. On adore ou on déteste. Du fond de sa bulle, «On the old Milk Lake», la sirène californienne peut prendre des airs de déesse… ou de sacrée peste.Divine diva
N’empêche. Un concert de Joanna, si reine sur scène au milieu des violons, piano et trombone qui l’entourent, impressionne. Peut-être est-ce la harpe elle-même, immense ; peut-être est-ce sa grâce innée, son attitude altière… Peut-être encore est-ce son univers, peuplé de muses célestes et de mythologie païenne ? Toujours est-il qu’un concert de la druidesse donne le sentiment d’assister à une soirée portes ouvertes sur l’Olympe. Il y a quelque chose d’olympien dans le spectacle même, ce chant suprême porté par trois albums où circulent pêle-mêle légendes celtiques (Ys), incantations féeriques, influences médiévales et cantilènes aux étoiles. Avec une durée moyenne de dix minutes par titre, les chansons de Joanna mènent leur croisade «anti-folk» aux antipodes des refrains usuels, pour mieux créer leur légende personnelle. En ce sens, Ys et le dernier Have One On Me ne sont pas des albums comme les autres, ce sont des épopées. Des œuvres au long cours où percussions séculaires, mandolines, flûtes et vents divers semblent surgir d’un autre temps, un monde sans âge qui joue sur les vides et les blancs, captant l’éternel plutôt que les modes du moment. Ambitieuse, l’œuvre de Joanna n’en est pas pour autant prétentieuse. Ni élitiste. Elle est juste aussi classe qu’inclassable, et sans doute plus proche de l’intemporel que de l’inepte étiquette «musiques actuelles».Hardie harpiste
Surtout, en misant sur la harpe dont elle joue depuis l’âge de sept ans, la damoiselle a réussi à réhabiliter des cordes désuètes, que la musique dite classique avait laissé dans ses oubliettes. Grâce à ce choix singulier, Joanna Newsom nous a vite fait comprendre, dès son premier album, qu’elle n’était pas qu’une folkeuse de plus sur le marché des cordes sèches. Si, à l’instar d’Alela Diane, Mariee Sioux ou Alina Hardin, l’arty harpiste est aussi originaire de Nevada City (berceau de la néo-ruée folk et des descendants hippies), Joanna, elle, chante moins son amour du maïs bio que son attachement global à la Californie. Plus que son cousin Gavin Newsom, maire de San Francisco, ce sont ses racines «as rich as roe» qui lui inspirent In California, l’une des 18 chansons poésie du récent Have One On Me. Avec des textes qui vont bien au-delà du prétexte, Joanna aurait aussi bien pu être écrivain, si en se penchant sur son berceau, les fées Kate Bush et Judee Sill n’avaient pas décidé d’en faire leur libre héritière. Billie Hollyday et Joni Mitchell ont aussi laissé quelques grains dans sa voix purement sensuelle, que le dernier album débarrasse de tout crissement crispant. Soft As Chalk, la maturité vocale de ce triple CD est d’ailleurs à l’image des photos de la pochette : d’une volupté lumineuse, parée de satin et dentelles qui étoffent sa féminité, Joanna s’y épanouit en sirène sereine, passée de femme-enfant à diva suprême. Alors… Miss Newsom est-elle sacrée parce qu’elle est l’élue de notre rentrée ? Ou est-elle notre élue parce qu’elle est sacrée ? C’est l’éternelle question d’Euthyphron.JOANNA NEWSOM
À l’Épicerie Moderne, samedi 25 septembre.

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