Herbes folk

Herbes folk

De passage à l'Épicerie Moderne, Alela Diane et sa copine Mariee Sioux sont le fruit d'une longue tradition de folk conjugué au féminin. Panorama non-exhaustif des grandes dames qui ont semé le folk aux quatre vents.Stéphane Duchêne

À Nevada City, Californie, ancienne bourgade de la ruée vers l'or reconvertie en parc à hippies, il y a un nouveau genre de pépite : la chanteuse folk. C'était de là déjà que nous était parvenu la voix cinglée de Joanna Newsom. De là que nous arrivent maintenant Alela Diane et Mariee Sioux, artisanes d'une musique de cow-boy qui, pour une fois, donnerait aussi le beau rôle à la nation indienne (Mariee est d'ascendance indienne et Alela fait comme si...). Outre qu'elles sont copines, les trois ont en commun le goût de l'intemporel. Une tendance qui n'a rien à voir avec la volonté affichée de sonner vintage, ces filles ayant un peu vécu hors du temps dans une ville semi fantôme, entourée de parents hippies sur lesquels le temps n'a qu'une prise relative.

Cultivant l'esthétique sépia et des histoires vieilles comme l'Amérique, elles sont en réalité les héritières de plus de 50 ans de folk féminin. Avec cette particularité qu'elles pourraient aussi bien en être la racine. On n'y verrait que du feu. En Amérique du Nord, les femmes ont bien plus qu'ailleurs toujours eu la guitare qui les démange. Et ont, tout autant que leurs homologues masculins, apporté leur pierre à l'édifice folk, parfois teinté de blues, de rock, de soul ou de jazz, mais en puisant toujours largement dans les racines country.

La voix des Droits civiques

Les pionnières du genre sont sans aucun doute les trois générations de femmes de la Carter Family, actives de la Grande Dépression aux années 60 sous la houlette de la matriarche Maybelle puis de sa fille June, future femme de Johnny Cash. À leur suite, le folk féminin n'aura de cesse de naviguer entre perpétuation d'une tradition musicale enracinée (Emmylou Harris, Lucinda Williams, compagne musicale de l'explorateur country-folk Gram Parsons) et dimension politique. Cette dernière n'étant pas pour autant toujours explicitement martelée mais déclinée au gré des chroniques quotidiennes ou des bluettes prétextes. Chez Dolly Parton ou Donna Fargo par exemple, qui allient plaisir des oreilles et plaisir des yeux avec leurs chemises à carreaux trop petites (ou leurs seins trop grands). Bien sûr les années 60, si politiques, voient logiquement les femmes folk s'affranchir elles aussi de la génération silencieuse de l'ère maccarthyste, portées par des figures comme l'afro-américaine Odetta, «La Voix des Droits Civiques», ou l'Indienne Buffy Sainte-Marie, née dans une réserve et docteur en Beaux Arts, qui chante pareillement le massacre de son peuple par les blancs et la boucherie vietnamienne.

Mais la prêtresse du «protest song», et tous sexes confondus s'il vous plait, se nomme évidemment Joan Baez. Qu'elle reprenne d'antédiluviennes chansons traditionnelles ou accompagne Bob Dylan son amoureux dans les grands-messes folk, sa voix de théière de bivouac altermondialiste qui sonne la fin des haricots ne baissera jamais pavillon. Même aujourd'hui que les haricots sont cuits et recuits. Sa grande «rivale» de l'époque (même si à cette époque tout le monde est ami), la canadienne Joni Mitchell est sans doute bien meilleure musicienne. Lorgnant vers le jazz, elle enregistre de sa voix céleste des disques qui font date, comme Blue (1971), cité en références par de nombreux musiciens, bien au-delà de la sphère folk.

Cow-girls

Ces voix singulières aux vibratos invraisemblables ont toujours été la marque de fabrique des folkeuses, là où leurs homologues masculins se contentent le plus souvent de maugréer d'une voix caverneuse (école country Cash/Kristofersson) ou de se racler les sinus (école Guthrie/Dylan/Chesnutt). La plus impressionnante est sans doute celle Karen Dalton, mi-irlandaise, mi-cherokee, qui, à 20 ans, chante déjà comme un bluesman centenaire avec un timbre mélancolique à pierre fendre, quelque part entre Billie Holliday et l'avinée Amy qu'on célèbre aujourd'hui.

D'autres cultivent une voie plus qu'une voix (même si elles l'ont jolie) : Linda Perhacs opte pour un univers psychédélique à la liberté absolue mais opaque («Joni Mitchell chez Stockhausen» diront certains) qui ravit sur le tard les branchés, de Devendra Banhart à Daft Punk. Toutes ces tenancières de l'âge d'or 60-70's ont bien entendu marquées les générations suivantes. Même quand celles-ci sont moins intrinsèquement folk. Soit nourries de rock indépendant et collée à leur époque comme les néo-féministes Ani Difranco et Suzanne Vega. Soit carrément anti-folk («anti» étant un genre de «faux ami»), comme Kimya Dawson, ex-Moldy Peaches, dont les comptines bancales et faussement underground sont devenues le produit d'appel numéro un de toute bonne BO (Juno, très récemment).

Mais c'est sans aucun doute la dernière génération de folkeuses qui est la plus soucieuse d'un retour aux racines des «mères fondatrices». Le label Fargo la célébra, il y a peu, avec la compilation Even Cowgirls get the blues. On y trouve des filles aussi différentes que la française Emily Loizeau, «french cousine» pas si éloignée, des rockeuses indés comme Lauren Hoffman, de pures cow-girls du Kentucky ou d'ailleurs (Sera Cahoone, Dawn Landes) et des filles déguisées en indiennes nommées Alela Diane et Mariee Sioux. À aucun moment on ne songe pourtant à douter que toutes ces filles très différentes chantent finalement d'une seule voix. Une voix qui vient de loin et n'a de cesse d'y retourner, comme le fruit, en tombant de l'arbre, retourne à la terre.

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