Food courts / À Lyon, si Food Society et Food Traboule ont récemment fermé leurs portes, d'autres food courts continuent de prospérer. Ces fermetures soulèvent des questions sur les modèles économiques qui varient d'un lieu à l'autre, et sur les raisons derrière ces succès et échecs contrastés.
Les food courts, ces espaces hybrides combinant plusieurs stands de restauration sous un même toit, ont séduit l'Hexagone par leur promesse de diversité culinaire et d'ambiance décontractée. Lyon, ville gourmande par excellence, n'a pas échappé à cet engouement. Pourtant, derrière cette apparente réussite se cachent des réalités économiques complexes qui viennent aujourd'hui fragiliser ce modèle.
L'année 2024 a été particulièrement difficile pour les food courts à Lyon. Le 4 juin, Food Society, a fermé ses portes après seulement trois ans d'exploitation. Peu après, le 6 août, Food Traboule, un autre acteur majeur, a été placé en redressement judiciaire. Ces fermetures successives interrogent sur la viabilité d'un modèle qui semblait pourtant promis à un bel avenir.
Ingrid Boutabba, directrice générale de Food Society, explique cette décision par un déficit d'activité de 30% par rapport aux prévisions. « Malgré nos efforts pour attirer une clientèle large avec des prix attractifs, notre modèle économique s'est révélé trop coûteux à maintenir, notamment en raison des charges salariales élevées », confie-t-elle. La situation s'est rapidement dégradée, forçant l'équipe à reconsidérer son positionnement. La fermeture de Food Society à Lyon est d'autant plus frappante que l'établissement, avec ses 3 000 m² et une capacité de 1 000 personnes, comptait parmi les plus grands food courts de France. Son offre comptait 10 kiosques de restauration, animés par des enseignes comme la cuisine du marché de Café Terroir, ou encore les pad thaï de la Rivière Kwaï.
Des modèles divers mais fragiles
Chaque food court à Lyon a adopté un modèle économique distinct, avec des stratégies variées pour attirer et fidéliser sa clientèle. Charles Lazarescu, directeur de Heat dans le 2ᵉ arrondissement, évoque un système basé sur la flexibilité et la confiance mutuelle avec les restaurateurs. « Nous avons développé un modèle économique unique en nous inspirant des festivals. Une grande partie des revenus provient du bar mais aussi du service traiteur et de la location de l'espace en BtoB [de pro à pro ndlr] », explique-t-il. Ce modèle permet de proposer une offre culinaire renouvelée en permanence, avec des restaurateurs différents autour d'une programmation événementielle. Heat, qui accueille entre 150 et 400 couverts par service, s'appuie sur une communauté de 150 restaurateurs invités temporairement. L'équipe de Heat se charge d'harmoniser les menus pour éviter la concurrence directe entre les échoppes.
De son côté, La Commune, le food court du 7ᵉ arrondissement, mise sur l'incubation de jeunes chefs. Lucie Bouvier, responsable communication, souligne l'importance de cette approche : « Notre rôle est de soutenir les chefs dans leur développement, leur offrir une première expérience professionnelle solide avant qu'ils ne se lancent dans l'ouverture de leur propre restaurant. » Avec une redevance proportionnelle aux bénéfices pour les chefs et une gestion centralisée du bar, La Commune réussit à maintenir un équilibre financier tout en offrant une expérience originale à ses visiteurs avec une programmation culturelle associée. L'espace accueille entre 800 et 1 000 clients par jour, avec une capacité de 700 places, et voit ses résultats en constante augmentation. En 2023, La Commune a enregistré une croissance de 138 % par rapport à 2019.
Une conjoncture économique délicate
Malgré des modèles variés et des approches différentes, tous ces établissements font face à une conjoncture économique de plus en plus difficile. Les coûts d'exploitation, en particulier ceux liés aux matières premières et aux charges salariales, ont considérablement augmenté. « Les prix des ingrédients ont flambé, ce qui nous oblige à ajuster constamment nos tarifs. Pourtant, nous devons rester compétitifs pour attirer une clientèle diverse », déplore Lucie Bouvier. Le prix moyen d'un plat reste autour de 12 euros, un compromis nécessaire pour maintenir l'équilibre entre qualité et accessibilité.
Charles Lazarescu, de Heat, note également que, malgré les difficultés, les food courts restent une alternative attractive pour les restaurateurs : « Nous sommes vus comme une solution pour ceux qui cherchent à tester de nouveaux concepts sans les contraintes d'un restaurant fixe ».
Ingrid Boutabba évoque également le positionnement et un choix d'emplacement délicat des food court dans un contexte où les habitudes de consommation ont changé. « À Lyon, nous étions situés dans un centre commercial comptant à lui tout seul 57 autres concepts de restauration, ce qui n'a pas facilité l'attraction d'une clientèle régulière comme à Paris », souligne-t-elle.