Campé de profil, Israel Galvan dessine lentement trois gestes, tend une main ouverte pouce levé vers le vide, la lève avec une fierté mêlée de fragilité, arque le dos en arrière puis... une déflagration flamenco secoue son corps de pied en cap, une trépidation tellurique faite d'os et de chair, une parenthèse de vie furibonde dans l'espace. Il y a là la virtuosité du zapateado (frappement des pieds) et la précision rythmique du compas propres au flamenco, mais il y a aussi beaucoup d'autres choses qui traversent les enchaînements du danseur : quelques traces de butô, des sauts oscillant entre ceux du ballet classique et ceux du chanteur de rock en concert, d'indéfinissables postures avec "un je ne sais quoi" de burlesque ou de bizarrerie gestuelle digne d'un personnage de Kafka (dont Galvan a d'ailleurs adapté La Métamorphose)...
On se souviendra longtemps notamment de la séquence où Galvan danse sur une sorte de praticable amovible et recouvert de sable, comme s'il s'agissait de frapper la croûte terrestre jusqu'à ce qu'elle donne tout son jus, qu'elle s'ouvre et montre enfin ses entrailles fumantes. «Il y a quelque chose dans le flamenco, quelques manières, quelques outils, qui nous enseignent les techniques de survie avec lesquelles affronter n'importe quel chagrin, n'importe quelle catastrophe», écrit Pedro G. Romero, directeur artistique et complice de Galvan depuis ses premières pièces en 1998 (le chorégraphe sévillan n'avait alors que 25 ans). À ces outils, Galvan en a donc associé beaucoup d'autres, n'hésitant pas aussi dans El Final de este estado de cosas, redux à mêler aux musiciens flamenco des interprètes de jazz et de rock. La pièce est un long solo inspiré de l'Apocalypse biblique, une suite de séquences à la théâtralité minimaliste, une mise à nu des puissances de la danse dans leur lutte pour la vie, jusqu'au dernier souffle. Une danse avec sa fierté sculpturale et sa rage vrombissante, mais aussi avec ses ruptures de rythmes et ses suspens silencieux, ses postures un peu étonnées et dégingandées devant la beauté fragile et mystérieuse d'une existence.
Jean-Emmanuel Denave
Israel Galvan, El Final de este estado de cosas, redux
À la Maison de la danse, du mercredi 17 au samedi 20 novembre.