La littérature peut-elle changer le monde ? On aurait beaucoup de mal, aujourd'hui, à répondre par l'affirmative, après la fin des idéologies et de la littérature dite "engagée". Mais qu'elle s'en fasse un peu l'écho, ou mieux, nous le fasse percevoir et vivre autrement, n'a rien de négligeable. Dans ses écrits sur le cinéma, l'écriture ou l'art, le philosophe Jacques Rancière décèle de nouveaux «partages du sensible» et, contre les fondamentalistes de la pureté moderniste, ose cette hypothèse revigorante : «Tous ceux qui ont été enrôlés au titre du paradigme moderniste – de Mallarmé à Malevitch, de Seurat à Mondrian ou Schönberg – visaient tout autre chose que l'autonomie de l'art : ils voulaient faire de la poésie le sceau nouveau de la communauté ; donner à la peinture la formule scientifique propre à fonder un nouvel art monumental ; définir les formes pures servant à construire les édifices et le mobilier d'une vie nouvelle».
Invité important de l'édition 2013 des Assises Internationales du Roman, Rancière pourrait servir de symbole (ou de prisme de lecture) à cette manifestation sensible aux effluves politiques du roman et toujours poreuse à la vie. Même un écrivain aussi apolitique que Jón Kalman Stefánsson le rappelle : «Un écrivain prend toujours position face à la vie dans ses œuvres. Il n'existe pas vraiment d'auteur qui ne soit pas politique, y compris le fait de ne pas prendre position est une prise de position». Les écrivains de l'autofiction font-ils exception ? Vous pourrez le demander à Christine Angot ou, mieux, au fondateur du genre, Serge Doubrovsky, selon qui «la vie est faite pour aboutir à un beau livre». Plus de lutte finale dans la littérature contemporaine, mais des luttes infinitésimales, virales, moléculaires.
Jean-Emmanuel Denave
7èmes Assises Internationales du Roman
Jusqu'au dimanche 2 juin