Mardi 1 avril 2014 André Agassi dans le corps du Petit Prince. C'est ainsi que l'on pourrait décrire Max Winson, le héros de la nouvelle bande dessinée de Jérémie Moreau (chez (...)
Joli doublé de la librairie Expérience, qui reçoit le jeune prodige Jérémie Moreau et le multiprimé Frederik Peeters, tous deux en plein bouclage de séries parmi les plus captivantes de ces dernières années : la fable sportive "Max Winson" et le space opera à hauteur d'homme "Aâma". Benjamin Mialot
D'après une source proche du dossier, comme on dit chez les détenteurs d'une carte de presse, quand il a su qu'il dédicacerait à la même table que Jérémie Moreau, Frederik Peeters n'a pu contenir sa joie à l'idée de côtoyer le jeune auteur de Max Winson.
Réaction de prime abord naturelle : construit comme un shōnen inversé – le champion de tennis invincible et introverti qui lui donne son titre ne cherche pas à devenir encore plus fort, mais à s'ouvrir au monde par la défaite – Max Winson est un bloc de virtuosité, d'une telle fluidité cinétique qu'on a par endroits l'impression de lire un flipbook. Ou une transposition masculine du Polina de Bastien Vivès – passé comme Moreau par la section animation des Gobelins et tout aussi travaillé que lui par les questions de transmission et de sacrifice. Ou une illustration cubiste d'un éloge de la beauté du geste chez Philippe Delerm. Quoiqu'il en soit, sa conclusion nous a laissé dans le même état d'heureux désarroi que la victoire de la Suisse en Coupe Davis.
Futurs proches
Reste que Peeters, justement originaire de la terre d'exil fiscal préférée des tennismen français, n'est pas né de la dernière pluie de comètes. Révélé en 2001 avec le bouleversant Pilules bleues (où il racontait ses retrouvailles avec un amour de jeunesse devenu séropositive), il s'est depuis imposé comme une sorte de chaînon manquant entre Charles Burns, pour la noire élégance de ses traits, et Moebius, pour la fertilité de son imaginaire futuriste et la charge psychédélique de ses visions.
D'abord avec Lupus, où la cavale galactique d'une gosse de riche et d'un paumé était prétexte à une réflexion sur l'incommunicabilité de l'être façon Tarkovski – ou Matsumoto : de par leur caractérisation philosophique, certaines planètes semblent sortir tout droit de l'itinéraire du Galaxy Express 999. Ensuite avec Koma (scénario de Pierre Wazem), attachant récit d'apprentissage miyazakien (le potentiel destructeur du progrès, la fragilité de la famille, la bienveillance des monstres) dans lequel une fille de ramoneuse découvre, sous les couches de briques d'une mégalopole industrielle, un monde souterrain peuplé de créatures gorillesques. Enfin avec Aâma, dont le quatrième et dernier tome vient de paraître. Cette fois, c'est la paranoïa selon K. Dick qui baigne ce futur sous le joug d'une firme de robotique, dont un paria refusant toute augmentation physique va s'affranchir en s'embarquant pour une Terre primitive en voie de colonisation technologique. Partant de là, se déploie une saga qui, dans sa manière de conjuguer ressentis intimes (sur le passage du temps) et questions cosmiques (sur notre rapport à la nature) en des visions graphiques qui dépassent l'entendement, aurait eu toute sa place dans Métal Hurlant.
C'est dire le talent de cet abonné à la sélection du festival d'Angoulême. C'est dire aussi celui dont Moreau devrait faire montre dans les années à venir.
Frederik Peeters & Jérémie Moreau
Samedi 6 décembre à la librairie Expérience
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