Fanny Borrot : « la sensibilisation ne s'adresse pas qu'à une certaine frange de la société »

Refugee Food Festival / Et si la meilleure manière d'accueillir l'Autre était de l'inviter à sa table ? C'est le credo du Refugee Food Festival, qui invite pour la sixième fois des cheffes et chefs réfugiés à cuisiner dans huit établissements lyonnais pendant dix jours, du 9 au 19 juin. On en parle avec Fanny Borrot, coordinatrice du développement du festival.

La cuisine est-elle un langage universel ? 
Fanny Borrot : On fait en sorte qu’il n’y ait aucun frein à la participation des personnes réfugiées dans le cadre du festival. S’il faut des traducteurs, on en emploie, s’il faut faire le liant, on le fait. On a envie de sensibiliser le plus grand nombre par le prisme de la cuisine. Les cuisiniers qui participent au festival sont des passionnés, qui ont pour la plupart envie de se reconvertir ou de continuer leur parcours pro dans la restauration.

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Comment ces personnes sont-elles sélectionnées pour participer au festival ?
Il y a une cinquantaine d'associations sur la métropole de Lyon que l’on contacte pour signifier que l’on recherche des personnes réfugiées qui ont un talent en cuisine. Des amateurs, ou des personnes dont c'était le métier à l'origine. La cuisine, c'est un levier d'insertion. On cherche des gens qui ont envie de transmettre des recettes, une culture, de rencontrer les autres, qui ont envie de sortir peut être d’une phase d'isolement toujours présente quand on subit une période d’exil… Le festival permet aussi de créer des ponts, des rencontres. Nous ne sommes pas seuls, les associations avec qui on travaille main dans la main comme Weavers ou Singa sont précieuses.

Le but n’est pas de suppléer aux associations d’insertion. Vous le dites, c’est avant tout un festival, un moment événementiel. Quelle suite cependant pour les personnes qui cuisinent dans les restaurants pendant le festival ?
On fait office de tierce personne de confiance. On identifie des formations en hôtellerie, en restauration, des incubateurs, des restaurateurs… On est déjà en lien avec tous ces gens-là. Le réseau que l'on s'est créé depuis quelques années et les bénévoles qui ont accompagné les différentes collaborations dans le cadre du festival prennent le relais et font les ponts nécessaires. Ces accompagnements ont des répercussions assez incroyables.

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Huit établissements participent à cette édition. Quels sont-ils ?
Dans les assiettes on retrouvera les plats franco-albanais de Léo Troigros et Armand Hasanpapaj à la Colline du Colombier, on pourra goûter au déjeuner ukrainien par Olha Kruchak aux Mauvaises Herbes ou au déjeuner ivoirien d'Awa Sylla au Café Somos. Chez Belle Lurette,  c'est un déjeuner syrien par Layal Khateeb qui nous attend tandis qu'à Cosy 36, Sadia Hessabi nous cuisine un diner afghan. Un atelier de cuisine ukrainienne est prévu aux Petites Cantines avec Varvara Tamanova...

De la cantine de quartier à l’étoilé

Toutes les catégories de restaurants peuvent participer ?
Ça va de la cantine de quartier à l’étoilé. Notre volonté est de sensibiliser différents publics, et forcément, ça vient avec différents portefeuilles. Il faut dans la programmation qu’on ait des collaborations autour de 10€, 70€, 80€, voire 100€. C'est important, car ce sont différents types de publics : la sensibilisation ne s'adresse pas qu'à une certaine frange de la société. Tout le monde doit être ouvert à l'accueil des personnes réfugiées.

La maison Troisgros est un partenaire particulier pour vous…
C’est une maison qui s’engage avec nous depuis 2018, qui nous a ouvert les portes de son trois étoiles, de son bistrot. On collabore avec toute la famille, ce sont des gens d’une extrême bienveillance qui ont à cœur de s’investir sur l’insertion des personnes réfugiées et de sensibiliser leur clientèle régulière. Cette année sera une collaboration à six mains à la Colline du Colombier. Léo Troigros, en collaboration avec Armand et Fatime, fils et mère, Albanais, et ça va être incroyable. Ce sera le 9 juin. Le menu est à 49€, il y aura beaucoup de choses !

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À quoi s'engagent les restaurateurs quand ils accueillent la personne pour une cuisine à quatre mains ?
On propose au restaurateur de collaborer sur un quatre main avec un cuisinier réfugié, on lui impose de le déclarer, de le rémunérer. C’est primordial de valoriser le travail qu’il y a derrière, ce n’est pas gratuit. Ensuite, on sollicite les restaurateurs s'ils font des bénéfices, à reverser une partie ou la totalité à une association locale qui vient en aide aux personnes réfugiées. C'est un cercle vertueux. Certes, c'est un événement mais qui apporte de la valeur humaine, et financière pour d'autres structures locales qui font un travail formidable. C'est important de mettre en valeur l’écosystème.

Comment les restaurateurs sont-ils sélectionnés ?
Il y a un peu de tout depuis 2017. Certains restaurateurs nous contactent. On essaye de changer régulièrement, de laisser la place à des nouveaux. Mais on aime bien avoir aussi des restaurateurs comme Les Mauvaises Herbes qui nous suivent depuis plusieurs années. C’est agréable, ils connaissent la mécanique, une confiance s’est instaurée et on peut savoir quel profil de cuisinier on peut diriger vers eux, si la personne est plutôt timide et réservée… De la même manière, on fait en sorte de ne pas matcher un cuisinier plutôt amateur avec un restaurant étoilé.

Une bière aux influences afghanes

La sensibilisation des personnes réfugiées est votre ADN, mais la sensibilisation à une alimentation saine et végétale semble aussi centrale ?
On collabore avec des restaurateurs engagés sur ces sujets. Partons du principe que si on a envie de travailler sur le bien être et l'insertion de publics exilés, il y a aussi un lien avec le bien être de la Terre. On collabore avec des restaurateurs qui ont une bienveillance humaine, mais aussi sur leur manière de cuisiner.

La nouveauté du festival cette année, c'est un regard tourné vers l’artisanat ?
On a commencé à Marseille l'année dernière avec un format fromagerie et boulangerie qui a cartonné. On le diffuse cette année dans les autres villes. Le festival est organisé par des bénévoles que nous accompagnons. Ce sont eux qui décident de la programmation. Cette année le choix de l'équipe lyonnaise s'est porté sur la brasserie Tom & Co. C'est aussi un bon moyen de pouvoir faire refléter les goûts et le patrimoine culinaire des différentes nationalités. Sadia, qui participe depuis plusieurs années, avait envie d'être challengée. De faire une collaboration avec un artisan sur une boisson s’est avéré intéressant. Ils ont co-créé une bière aux influences afghanes qui est actuellement en train d'être brassée et sera vendue cette semaine. À chaque fois on apporte des épices, des fleurs séchées, des graines, on sent, on goûte…

Il y a le festival, mais aussi tous les autres piliers du Refugee Food Festival…
L’association a six activités au total. À Paris, on a monté un restaurant d'insertion, La Résidence, et un service traiteur. On a monté des formations professionnelles et on est aujourd’hui mandaté par le ministère du Travail pour former des personnes réfugiées au titre de CQP commis de cuisine. C'est une formation de six mois ouverte aux personnes réfugiées, gratuite, diplômante qu’on aimerait développer sur le territoire lyonnais. On a un programme qui s'appelle "Éducation", de sensibilisation à l'accueil et à l'insertion des personnes réfugiées dans les collèges. Le dernier projet, pas des moindres, c’est l’aide alimentaire. Depuis le confinement, on a commencé et on ne s'est jamais arrêté. Notre brigade en insertion cuisine prépare entre 500 et 1000 repas savoureux par jour.

Le dernier jour du festival aura lieu à Heat, à quoi doit-on s’attendre ?
C’est encore en cours de préparation. Mais quatre cuisinières de quatre nationalités (Syrie, Tchétchénie, Ukraine et Afghanistan) seront présentes. On va bien manger, c’est sûr.

Refugee Food Festival
Du 9 au 19 juin 2022
Programme et établissements participants sur refugee-food.org


Le concept

Comme chaque année depuis 2017, autour du 20 juin (journée internationale des réfugiés), le Refugee Food Festival s'installe en ville. Le projet s'est développé dans 22 villes du monde grâce à des équipes de bénévoles engagés pour la cause des réfugiés et convaincus que la cuisine est un puissant outil de découverte mutuelle et d'insertion.

Sensibiliser et informer pour lutter contre les préjugés sur les personnes réfugiées, permettre leur accès à l'emploi dans le secteur de la restauration, et rassembler autour de bons repas sont les trois ambitions principales du festival.

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