Serpenter dans Sens interdits avec Zora Snake

L'Opéra du Villageois

Théâtre de la Renaissance

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Alors que l’Etat français vient de suspendre l’attribution de visa à tous ressortissants du Niger, du Burkina-Faso et du Mali, le festival Sens interdits n’en a que plus de raisons d’être pour faire exister ces voix du lointain, tues. 16 pays sont présents à travers 18 spectacles présentés du 14 au 28 octobre dans les théâtres de la Métropole (et en région). Ce théâtre de l’urgence parle russe, arabe, créole, anglais, portugais, polonais ou le français des anciennes colonies. Parmi eux, un diptyque du Camerounais Zora Snake. Ce danseur et performeur ouvre cette 8e édition, au théâtre de la Renaissance. Voici pourquoi.

C’était en 2017, aux Ateliers Frappaz de Villeurbanne, dans une sorte de hangar, un danseur, simplement vêtu d’un slip, entamait une performance qui générait crainte et douleur. Il s’emberlificotait dans des fils barbelés et matérialisait dans son corps ce qu’est le déchirement d’un départ, d’une migration quand elle est devenue le seul horizon vivable. Peu après, résonnaient les discours de politiciens européens défendant les frontières nationales accentuant l’inhumanité rampante au cœur de ce travail, celui de Zora Snake dans Transfrontalier. Son geste raide ne s’est pas effacé. Le festival lui offre aujourd’hui d’entamer ces quinze jours de traversée. Et ce n’est pas un détail que ce soit un Africain qui le fasse tant « c’est de ce continent que viendront les grandes mutations intellectuelles et esthétiques » selon Patrick Penot, directeur et fondateur du festival, en 2009.

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La forme courte (30 min) de L’Opéra du villageois puis celle plus longue (1h) de Shadow Survivors s’enchaînent et interrogent ce qu’il reste de la domination coloniale dans le Cameroun d’aujourd’hui. Dans le premier nommé, il s’agit de questionner le sens du rapport Sarr-Savoy de 2018 qui liste les œuvres d’art (90 000) que la France doit rendre aux pays spoliés « mais quelles œuvres on restitue au final quand on a déraciné tout un héritage ? » demande Zora Snake. Seul au sol, dans la craie ou portant un masque, avec les voix des rapporteurs et de leur commanditaire Emmanuel Macron, le performeur offre le point de vue du Cameroun et de la perception desdites œuvres d’art par ceux à qui elles appartiennent. Ce qui est perçu comme un objet d’art figé en Europe est un héritage "actif " en Afrique dont les habitants peuvent se servir au cours de rituels.

Né en 1990 dans le village de Bamendou, dans l’ouest du pays, Zora Snake (de son vrai nom Tejeutsa qui signifie dans la langue traditionnelle yemba « une personne qui a une forte empathie ») s’est formé dans la rue à la danse, et notamment au hip hop avant de se faire remarquer en 2013 dans un tremplin à Yaoundé. Dès lors, au gré de bourses, d’invitations à des festivals, il crée et surtout exporte ses spectacles au-delà de ses frontières.

Beauté. Convulsive.

Shadow survivors s’est déjà baladé en Belgique, en Allemagne mais c’est à Sens interdits que se déroule la première française. Tout commence hors salle avec ce cri qui résonne tout particulièrement au moment où un courrier des DRAC daté du 13 septembre demande aux entreprises culturelles françaises subventionnées l’arrêt immédiat de tout projet de coopération avec les ressortissants du Mali, du Niger et du Burkina Faso : « my company has a visa ! », le graal ! Sex machine en fond et déjà un drapeau blanc dans la main de Zora Snake qui n’est plus seul mais avec quatre autres danseurs, en costards cravates qu’ils vont réajuster comme des pantins, frénétiquement. Nous sommes dans une époque qui est la nôtre mais lorsque les paroles arrivent au premier tiers du spectacle, il est question des « émeutes de 1955 », du gouvernement français qui se met à soutenir l’UPC, Union des Populations du Cameroun, pourtant en lutte pour l’indépendance – c’est pour mieux le dynamiter de l’intérieur « criblant de balles » Ruben Um Nyobé, cofondateur du mouvement. Il n’y aura plus de mots sur le plateau mais des convulsions comme souvent avec Zora Snake, des corps meurtris, soulevés, cognés. Jusqu’à l’arrivée d’un « new deal » inscrit sur une valise qu’on suppose diplomatique. C’est le rapport criminel de la France au Cameroun que l’artiste pose là. Ainsi que les couches de silence sous lesquelles il a été enfoui. Dans sa langue – corporelle – il fait exister son absolue soif de reconnaissance des actes passés. Krump, break, hip hop sont au service d’un propos politique fort et peu entendu. C’est précisément ce pour quoi il revient dans ce festival et pourquoi ce festival existe.

L’Opéra du villageois, au théâtre de la Renaissance, le 14 oct

Shadow survivors, au théâtre de la Renaissance, les 14 et 15 oct, au Toboggan le 18 oct

Festival Sens interdits, dans la Métropole de Lyon, du 14 au 28 oct

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