20 ans / Scène culte des pentes de la Croix-Rousse, le Kraspek Myzik fête ses vingt ans. C'est l'occasion de se pencher sur ses nouvelles orientations ainsi que le renouveau de l'équipe. Entretien avec Inès Bourgeois et Leïla Ensanyar-Volle co-programmatrices et respectivement directrice artistique et administratrice du lieu.
Le Petit Bulletin : Le Kraspek a émergé il y a vingt ans alors que le PezNer et le Kafé Myzik s'éteignaient, eux-mêmes porteurs d'une part de l'héritage de certains squats culturels de la métropole (parmi lesquels le Wolnitza ou le Rapetou). Vous sentez-vous toujours porteuses de cette hérédité ‘'punk'' ?
Inès Bourgeois : La reprise est assez fraîche, ce serait prétentieux de répondre. On essaye de garder un esprit punk qu'on redéfinit avec des critères qui nous semblent être ceux d'aujourd'hui : on conserve les mêmes enjeux d'accessibilité, on programme sans se poser la question des éventuelles répercussions politiques. On prévoit des choses très engagées sous de nombreuses formes. Par exemple, il y aura la soirée ‘'We are the new generation'' le 23 avril prochain. C'est un concert avec une dizaine de chanteurs et rappeurs accompagnés de deux musiciens. Ce sont tous des mineurs isolés ou des personnes exilées. La soirée est gratuite, sans adhésion, et 100% des bénéfices reviennent à l'association Pour la suite du monde.
Leïla Ensanyar-Volle : On essaye de visibiliser des enjeux qui nous sautent à la figure : la montée du fascisme ou de la précarité... Sans que ça ait l'air cosmétique, c'est-à-dire qu'on veut aussi que ça soit présent dans notre fonctionnement, notre accueil. On a remanié notre carte de bar par exemple, pour la garder accessible. On a densifié le nombre de softs proposés, car la jeunesse est moins portée sur l'alcool et on a ajouté des jus plus éthiques, circuit-court. Cela en gardant le Coca Cola et l'Ice Tea, pour que tout le monde se sente à l'aise, représenté. Même chose pour la billetterie, on a mis en place des tarifs solidaires (6 €), des tarifs ‘'normaux'' (de 9 à 11 €) et des tarifs soutien (16 €). Tout le monde joue le jeu jusqu'à maintenant, les soirées s'équilibrent bien.
LPB : L'ancien directeur-programmateur Franck Guscioni est parti en juin, Inès Bourgeois vous êtes devenue directrice artistique et Leïla Ensanyar-Volle êtes arrivée pour prendre en charge notamment le volet production, administratif. Avez-vous changé des choses en termes d'organisation ? Êtes-vous toujours en modèle associatif ?
IB : Oui, et on s'appelle toujours Lerocképamort (rires). Nous sommes deux dans les bureaux, avec un technicien régisseur en plus, Mehdi Belarbi. Les décisions sont prises de façon collégiale en présence des 15 membres du CA, même si celui-ci a bougé. Avant, il était majoritairement constitué d'amatrices et d'amateurs, aujourd'hui, on y trouve aussi de nombreuses personnes qui travaillent dans le monde de la musique. Des bookeuses et bookeurs indépendants, des techniciens, des managers... Le combo des deux est important. C'est un peu comme une rencontre entre rêve et réalité : les amateurs vont amener des idées fraîches, ceux qui baignent dans le milieu vont apporter des réponses un peu plus cartésiennes. On est toujours soutenues par une équipe de bénévoles qui varie entre 20 et 50, et qui s'investit énormément dans le lieu. Historiquement, le Kraspek a été pensé par et pour les habitants du quartier. Aujourd'hui, on essaye de moduler un peu, on en fait aussi un lieu par et pour les artistes. On touche d'ailleurs une subvention de la Ville de Lyon car nous sommes dans le réseau Scènes découvertes lyonnaises.

LPB : Pourquoi avoir choisi de programmer à deux ?
IB : Dans nos secteurs, il y a souvent la personne qui fait la programmation et les autres, de façon presque pyramidale. Là, c'est quand même moi qui pose un cadre, mais ce sont deux paires d'oreilles, avec leurs influences et leurs esthétiques qui participent à orienter le Kraspek Myzik. On part sur une base de musiques actuelles, mais grâce à des propositions de Leïla, on accueille aussi des incursions du monde entier, comme le groupe de rock Ballast qui a joué le 23 mars dernier, aux influences balkaniques.
LEV : Le Kraspek Myzik a débuté avec une identité très chanson, proposant un peu de punk, puis du jazz fusion et, finalement, beaucoup de rock-folk avec Franck Guscioni. Pour la suite du projet, on ouvre aux musiques actuelles avec du rap, de la pop, des musiques un peu fusion, de la soul, beaucoup de groove et de funk... Tout cela en représentant l'émergence locale.
IB : On a réalisé que certaines esthétiques, telles que la pop étaient très peu représentées à notre échelle, alors qu'elle est extrêmement parlante pour les plus jeunes. Côté rap, on travaille en partenariat avec le collectif GSM [diminutif de Gars sûrs municipaux, label d'Okis, de Rowtag, de Matox ndlr]. La scène émergente rap a elle aussi beaucoup de mal à trouver des lieux où se produire. On en programme depuis septembre, et on a vu que ça a amené des nouveaux (et nombreux) publics, plus jeunes, au Kraspek.
LEV : On a une carte à jouer en tant que premier maillon de la chaîne : les grandes salles du territoire portent un regard attentif à qui nous faisons jouer, nous demandent souvent des retours sur les artistes, on travaille en bonne solidarité avec le réseau. Au-delà de ça, Inès est aussi jury sur la présélection du Printemps de Bourges. C'est important qu'une certaine diversité puisse passer par chez nous.
LPB : Comment ça va, économiquement ?
IB : C'est fragile, a dû remanier plein de choses. On programme une jam une fois par semaine avec des personnes qui souhaitent soutenir le lieu. Cela ne nous coûte rien et nous rapporte un peu d'argent qu'on peut réinvestir dans d'autres soirées. On a revu le système de catering, c'est une bénévole qui nous fait tous les repas, pour la modique somme d'un euro par tête. On faisait imprimer les tickets d'entrée, maintenant on les imprime et on les découpe nous-mêmes. On programme plus souvent des soirées en partenariat, avec GSM mais aussi LGTDZ ou encore La convergence des sluts. Cela nous plaît aussi, car on ne voulait pas accaparer le travail d'autres sur les musiques électroniques ou la scène queer par exemple.
LPB : Vous accueillez principalement de la création, vous faites beaucoup de résidences ?
IB : On en fait une à deux fois par mois, en accueillant des groupes lyonnais. C'est important pour nous nous que ces temps soient gratuits pour les artistes, même si, au-delà du coût que ça représente sur place, ça nous prend aussi du temps. On se fixe des rendez-vous bilan où on essaye d'accompagner les artistes sur des points précis, comme la structuration de leur administratif, de leur communication, de leur tournée... On est à leur écoute. On est très sollicitées, les artistes auraient besoin de plus de lieux pour les accueillir en résidence.
20 ans 20 concerts au Kraspek Myzik
Événements jusqu'au samedi 26 avril au Kraspek Myzik (Lyon 1er) ; de 0 à 16 €