Aménagement urbain / Face aux coups de chaud en ville, peut-on vraiment rafraîchir sans végétaliser ? Sur la place Bellecour, "Tissage urbain", une structure monumentale propose une réponse d'architecte en faisant de l'ombre, sans une feuille. Une solution qui relance le débat sur la manière — et la possibilité — de repenser nos espaces publics minéralisés à l'ère du changement climatique.
Au départ, la Ville de Lyon avait promis une forêt urbaine. À l'arrivée, c'est une canopée de bois et de tissu, dressée sur plots bétonnés, qui s'étire sur la plus grande place piétonne d'Europe. Une œuvre signée Romain Froquet et Tristan Architecture, financée par la Ville à hauteur de 1, 5 million d'euros. Tissage urbain n'est pas sans charme plastique, mais son ambition est aussi et surtout d'atténuer l'effet de chaleur, là où les arbres ne peuvent s'enraciner.

La place Bellecour repose en effet sur un millefeuille de structures, métro, parking, galeries techniques. Impossible donc de planter en pleine terre. Et les solutions de bac ou de jardinières ne pourraient supporter les canicules. Comme l'a résumé Audrey Hénocque, première adjointe à la Ville de Lyon, lors de la conférence de presse présentant la structure le jeudi 24 avril dernier : « Ils n'auraient pas tenu le choc face aux chaleurs estivales. »
Le projet a donc bifurqué, toiles tendues, parcours piétons ombragés et bancs pensés pour rester cinq ans. Une solution qui n'a pas plu à tout le monde : la conférence de presse organisée pour dévoiler la structure a très vite tourné à la foire d'empoigne politique entre banderoles militantes et invectives contre la première adjointe Audrey Hénocque.
« Des espaces impossibles à végétaliser simplement »
Au-delà des polémiques, le problème demeure : comment rafraîchir une ville, quand le sol ne permet pas d'y planter une végétation qui pourrait s'y épanouir durablement ?
Pour Michel Lussault, géographe, professeur à l'École normale supérieure de Lyon et ancien directeur de l'École urbaine de Lyon, notamment auteur d'Hyper-lieux (2017) et Cohabitons! (2024) aux éditions du Seuil, le cas de la place Bellecour est emblématique de ce qu'il nomme « les impasses minérales ». Il regrette : « On se rend compte que l'on a été confronté à une urbanisation qui, il y a plusieurs décennies, n'a jamais intégré la question des îlots de chaleur ». Sur les places très artificialisées, comme Bellecour, « l'îlot de chaleur se nourrit de l'absence de végétation, de la réverbération des matériaux et d'une pollution qui accentue les effets de surchauffe, même la nuit ».
Face à cette tendance, l'ombrage est une réponse minimale, « plutôt un confort » qu'un vrai rafraîchissement. Pour le géographe, la chaleur urbaine ne peut être réellement endiguée qu'en croisant plusieurs approches comme l'évapotranspiration végétale, la restauration des circuits hydriques, la transformation des circulations d'air. « À Séoul, on a redécouvert un canal enterré, restauré l'écosystème, et offert un nouveau parcours aux piétons. » À Lyon ? « On fait ce qu'on peut sur des dalles, mais cela reste une solution de contournement. »
Végétation en ville : où en est-on dans la métropole de Lyon ?
• + 8, 5 hectares d'espaces verts créés entre 2020 et 2023 selon la Ville et la Métropole de Lyon
• 20 cours d'écoles végétalisées ou en cours de transformation depuis 2020
• 7 000 arbres plantés selon le dernier rapport métropolitain
• Mise en place de micro-forêts urbaines (ex : Duchère, 7e, Villeurbanne), avec des essences locales et un entretien minimal
• Une charte de l'arbre adoptée en 2021, fixant les principes de préservation, de plantation et de gestion du patrimoine arboré
Le fantôme de Chartres
À Chartres, on a tranché dans le vif. Littéralement. Une quinzaine de tilleuls, plantés depuis plusieurs décennies devant la cathédrale, ont été abattus mi-avril pour « dégager la vue ». Le maire divers droite, Jean-Pierre Gorges en a décidé ainsi, contre l'avis de l'architecte des Bâtiments de France et au grand dam de nombreux habitants. À la place des feuillages : des parasols. Des bâtons synthétiques censés compenser l'ombre naturelle, dans l'un des centres urbains les moins végétalisés de France.
Sans que les deux situations ne soient identiques, l'épisode hante en creux l'aménagement temporaire de la place Bellecour. Car en misant sur une œuvre installative — aussi ambitieuse soit-elle — pour répondre à une demande de fraîcheur, la Ville prend le risque de brouiller la lisibilité de ses autres politiques plus structurelles. C'est ce que redoute Michel Lussault, qui craint que Tissage urbain ne donne l'impression que l'essentiel de l'action climatique se joue là et ne masque tout ce qui a été entrepris ailleurs depuis 2020 par la mairie écologiste en matière de végétalisation.