Mardi 3 septembre 2019 Sortie triomphalement au printemps, la Palme d’Or laisse un boulevard aux films de l’automne, qui se bousculent au portillon. À vous de les départager, ex aequo autorisés…
Qui s'y frotte… : "Bacurau"
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 24 septembre 2019 - 2473 lectures
Photo : © Victor Jucá
Bacurau
De Kleber Mendonça Filho, Juliano Dornelles (2019, Bre-Fr, 2h12) avec Barbara Colen, Sônia Braga...
Le film de la Semaine / Après "Aquarius", Kleber Mendonça Filho s’associe à Juliano Dornelles pour livrer une fable picaresque futuriste, entre "Les Chasses du Comte Zaroff" et "Les Aventures d’Astérix" version brésilienne. Corrosif, sanglant et… visionnaire ? Prix du Jury à Cannes 2019.
Nordeste brésilien, dans un futur proche. De retour à Bacurau pour enterrer sa grand-mère, Teresa remarque que le village est de plus en plus enclavé, comme coupé du monde. Les choses vont s’aggraver en présence de bien curieux étrangers. Mais Bacurau n’a pas dit son dernier mot !
à lire aussi : "Aquarius" : péril(s) en la demeure
Il y a trois ans, Kleber Mendonça Filho nous assénait une claque cuisante qui, à bien des égards, prophétisait métaphoriquement les prémices du populisme bolsonarien : on assistait en effet dans Aquarius à la déliquescence d’une société où le bon droit valait tripette face au poids des intérêts privés (et à leur omnipotence acquise par la corruption) ; où la maison Brésil semblait dévorée de l’intérieur, ses fondations menaçant de rompre à tout moment. Comme s’il souhaitait mettre entre parenthèses le temps présent, le cinéaste — en duo ici avec Juliano Dornelles — en propose avec Bacurau une manière d’extrapolation, histoire d’en mesurer les conséquences. Et de se montrer encore plus critique avec le pouvoir en place, sans (trop) avoir l’air d’y toucher.
Légitime défonce
À la fois chronique et saga, Bacurau saute volontiers d’un genre à l’autre, ne se refusant de fait aucune digression, aucune rupture de ton, aucune absurdité apparente. Certes, il s’agit d’un maelström hétéroclite où surgissent, entre autres et dans le désordre, un OVNI, un vieux chaman expert en psychotropes, des mercenaires à moto, un gouverneur en campagne électorale. Un chaos apparent semblable à la luxuriance imprévisible de la forêt amazonienne, au moins aussi inquiétant que les déclarations outrancières de l’actuel président de la République fédérative.
Mais l’inquiétude ici change de camp : dès qu’on touche aux enfants, les opprimés font bloc pour s’opposer à leurs oppresseurs, fussent-ils investis de pouvoirs discrétionnaires ou d’armes dernier cri. Et ce qui s’annonçait comme un ball-trap sur des villageois supposés vulnérables se transforme en curée jouissive au détriment des agresseurs, dans une explosion libératoire de violence à la Peckinpah — ou à la Cattet & Forzani : avec ses couleurs brûlées, l’image éclaboussée de sang dessine des compositions d’une abstraction presque… poétique. Mais sous le caillot d’un gore pailleté de réalisme magique, c’est le geste héroïque d’une société unie, diverse, démocratique et tolérante qui est contée ; le souvenir ainsi que la promesse d’une révolution sans merci contre les ennemis de sa liberté. Pas pour aujourd’hui, mais pour juste avant demain. Là-bas, il n’y a pas le feu au lac, mais à la forêt…
Bacurau
Un film de Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles (Br, 2h12) avec Barbara Colen, Sônia Braga, Udo Kier…
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 14 mars 2017 En carence de culture ibérique et sud-américaine ? Dites 33, comme la 33e édition des Reflets du cinéma Ibérique et latino-américain. Un traitement de choc à base de saveurs épicées, à l’horizon sensitif infini.
Mardi 27 septembre 2016 Guerre d’usure entre l’ultime occupante d’un immeuble et un promoteur avide usant de manœuvres déloyales, le deuxième long-métrage du Brésilien Kleber Mendonça Filho tient tout à la fois du western, de la fable morale, du conte philosophique...
Mardi 11 mars 2014 Formidable premier film du Brésilien Kleber Mendonça Filho, cette exploration d’une psychose sécuritaire au motif incertain importe les codes du cinéma de genre dans un récit prenant, mis en scène avec un sens spectaculaire de l’espace et du...