"Kung-Fu Zohra" de Mabrouk El Mechri : opération daron

Pour faire cesser les coups de son mari, une fan de kung-fu s'initie auprès d'un maître. Mabrouk El Mechri signe une proposition culottée (et forcément clivante) mêlant son amour du cinéma de genre à son intérêt pour les personnages déclassés. Un film avec du propos, qui tombe à propos.

Quand Zohra a épousé Omar, il était attentionné et charmant. Mais l'alcool, les déconvenues professionnelles, les frustrations personnelles ont transformé le prince charmant en un tyran domestique violent et manipulateur. Craignant de perdre leur fille dans une séparation, Zohra encaisse. Jusqu'au jour où un maître ès arts martiaux va lui donner technique et courage pour riposter.

Dix ans après ses derniers faits d'armes, Mabrouk El Mechri renoue avec le grand écran et surtout avec son registre de prédilection : la comédie dramatique en lien direct avec un sport de combat. Virgil (2005) s'inscrivait ainsi dans le milieu de la boxe, JCVD (2008) tournait autour de la figure (réelle et fantasmée) de l'icône du full contact, Jean-Claude Van Damme. Kung-fu Zohra revisite à présent l'univers des productions issues des studios Golden Harvest — rendant hommage au passage via le graphisme de son affiche au promoteur de leur diffusion en France, René Chateau grâce auquel le cinéaste les a découvertes — comme les séries ou films d'action initiatiques que sont Kung Fu (1972-1975) ou Karaté Kid (1984). La grande différence réside dans le contexte où se déroule l'histoire, partiellement lié à la vision par Mabrouk El Mechri à son retour d'Hollywood du Fatima (2015) de Philippe Faucon — ne constituant pas de son propre aveu un cinéma qu'il pourrait faire, mais susceptible de nourrir son inspiration.

Plus jamais

L'idée peut sembler audacieuse d'associer la question des violences conjugales au cinéma de genre ; on sait pourtant bien depuis Bettelheim que parmi les fonctions du conte, l'une d'elles vise à parler du réel sous des dehors récréatifs. Avec ses chorégraphies, sa mise en scène habile et référentielle reprenant les codes hongkongais, mais aussi ses têtes d'affiche appréciées du grand public (chapeau Ramzy Bédia et Sabrina Ouazani, parfaits), Kung-fu Zohra dispose ainsi de nombreux atouts pour faire passer un message... qui ne se résume pas à de l'autodéfense. Le restreindre à un “mode d'emploi“ sans prendre en compte sa dimension parabolique reviendrait à discréditer par symétrie J'ai pas sommeil (1994) de Claire Denis parce qu'elle y présente un groupe de femmes — Line Renaud en tête — s'adonnant à des cours de self-défense pour pouvoir répliquer en cas d'agression. Ou criminaliser Kill Bill (2003) de Tarantino parce que le personnage de la Mariée opère une vengeance contre le père de sa fille après que celui-ci a essayé de la tuer — un film qui, au passage, paie lui aussi un large tribut au cinéma d'arts martiaux.

Loin de faire de la question des violences faites aux femmes un spectacle ou un alibi, Mabrouk El Mechri la désigne comme sujet et va même plus loin en imprimant à son récit une surreprésentation féminine : la voix off est ici portée par une narratrice différente de l'héroïne. Une observatrice légèrement excentrée (à la manière de Madame Jouve dans La Femme d'à côté de Truffaut), rendant compte avec son recul et sa bienveillance des difficultés de son amie ; sa contribution (et sa sororité, dit-on volontiers aujourd'hui) sera décisive dans l'émancipation de Zohra. Cette volonté de donner une “voix” différente va en cohérence avec la représentation de l'outre-périphérique que le film offre (celle d'une banlieue plus métissée que Saint-Germain-des-Prés), qui vaut à Mabrouk El Mechri l'aberrante accusation de racisme, au motif qu'il ancrerait un stéréotype d'Arabe violent — une vision orientée omettant à dessein les nuances apportées dans l'écriture des personnages, loin d'être réductibles à des caricatures généralisantes. À croire que ces accusations outrancières, donc dérisoires (et plutôt masculines, au passage), cherchent fallacieusement à maintenir l'invisibilisation des violences conjugales — qu'elles soient physiques ou psychologiques. Gageons qu'à l'instar de Jusqu'à la garde, Mon roi ou Ne dis rien, Kung Fu Zohra contribue à cette mise en lumière par des femmes et des hommes de cinéma, d'un phénomène ne dépendant ni d'une origine ethnique ou religieuse, ni d'un désavantage ou d'un privilège social.

<iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/WjwF9xfC_1g" title="YouTube video player" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen></iframe>

★★★☆☆ Kung-Fu Zohra
Un film de Mabrouk El Mechri (Fr, 1h39) avec Sabrina Ouazani, Ramzy Bedia, Eye Haïdara (sortie le 9 mars)

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 18 janvier 2023 Comédie burlesque sur les liens familiaux envahissants, satire de notre époque et du milieu de l’édition ; réflexion métaphysique sur l’alchimie prodigieuse du “mentir-vrai“ de la création, Youssef Salem a du succès se hisse au niveau de Mother...
Mardi 14 janvier 2020 Un seul point. C’est ce qu’il manque à l’équipe de foot de Clourrières pour assurer son maintien. Sauf que les joueurs ont tous été suspendus après une bagarre. Alors, l’entraîneur monte une équipe féminine pour les trois ultimes rencontres. Et se...
Mardi 7 janvier 2020 Fraîchement séparés, Joëlle et Kamel se côtoient tous les jours au sein de l’équipe de la Maire de Montfermeil, une illuminée rêvant, entre autres excentricités des années 1980, d’implanter une école de langues démesurée dans cette cité de banlieue....
Mardi 19 novembre 2019 Un pays méditerranéen indéfini de nos jours, en proie à un conflit civil et religieux. Non aligné, un médecin tente d’exercer son métier malgré les tracasseries ordinaires et les incitations de ses proches à migrer en sûreté. Un jour, sa situation...
Mardi 10 septembre 2019 Comment deux trentenaires parisiens confrontés à leur solitude et leurs tourments intérieurs, s’évitent avant de se trouver. Cédric Klapisch signe ici deux films en un ; voilà qui explique qu’il soit un peu trop allongé, pas uniquement à cause des...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X