Drame / Comment deux trentenaires parisiens confrontés à leur solitude et leurs tourments intérieurs, s'évitent avant de se trouver. Cédric Klapisch signe ici deux films en un ; voilà qui explique qu'il soit un peu trop allongé, pas uniquement à cause des séances de psychanalyse.
Ils sont voisins, se côtoient tous les jours mais ne se connaissent pas. Entre leur âge, leurs problèmes de sommeil, de boulot ou leurs difficultés à se projeter, Rémy et Mélanie ont beaucoup en commun et à partager. Mais pour le savoir, encore faudrait-il qu'ils se rencontrent...
L'idée de jouer sur la frustration des spectateurs en retardant à l'extrême la rencontre de Rémy et Mélanie s'avère sacrément perverse si l'on y réfléchit, puisqu'elle tient du coitus interruptus entre deux personnages se frôlant à peine — chacun étant protagoniste de son histoire à l'intérieur de ce film jumeau. S'ils paraissent ensemble, ce n'est que virtuellement : dans l'esprit du public et par la grâce du montage. Le réalisateur s'égare un peu dans cette dilatation excessive précédant la délivrance collective : une vingtaine de minutes surnuméraires aurait pu rester sur le chutier. Ou alors il aurait fallu opter pour la mini-série en quatre épisodes et quatre heures.
Dans la fourmilière
Si l'on fait abstraction de la romance, ou si on la considère comme un prétexte, on retrouve les motifs favoris du cinéma de Klapisch : la chronique-chorale d'une époque et d'un groupe, de préférence jeune, dans un territoire donné (Chacun cherche son chat croquait la capitale ; L'Auberge espagnole ou Ce qui nous lie la fin de la jeunesse). Le regard porte ici sans loucher sur deux mondes coexistant en parallèle au sein d'une même galaxie, deux astres presque éteints autour desquels gravitent pourtant quantité de planètes indifférentes.
C'est sur ce point que Deux moi se révèle évidemment le plus intéressant, car il s'inscrit dans le sillage d'œuvres illustrant dans la jungle des villes la transformation des individus en “foule solitaire“, pour reprendre le terme du sociologue David Riesman. Après l'Ultra Moderne Solitude de Souchon ou Les Heures souterraines de Delphine de Vigan, Deux moi ajoute à la liste des victimes broyées par le modèle sociétal contemporain : les gaudrioles tristes de Mélanie ou les vertiges introspectifs de l'insomniaque Rémy en sont les symptômes. L'optimiste verra dans l'affable épicier du coin, le chat qu'ils partagent et la chanson de Dalida qui les réunit et un peu de soleil ; le pessimiste objectera que le commerçant fait du négoce, le chat se moque de qui le nourrit et Dalida a bien mal fini. Deux manières de voir les choses...
Deux moi
Un film de Cédric Klapisch (Fr, 1h50) avec François Civil, Ana Girardot, Eye Haïdara...