Taxidermie

Mercredi 6 septembre 2006

Après Hic en 2002, le jeune metteur en scène hongrois György Pàlfi accouche d'un long-métrage radical, Taxidermie. Séverine Delrieu

Dans ce deuxième opus, les expériences corporelles extrêmes vécues par les personnages contaminent un spectateur éprouvant des sensations physiques dérangeantes, écœurantes, attirantes (qu'on se le dise, le déferlement de chairs, boyaux, vomis nécessite un estomac solide). Pourtant l'intérêt constant du film réside dans cette opposition : l'effroi cède à la fascination. Pour se faire, le réalisateur use d'armes lourdes, à savoir un univers baroque/gore dans lequel il plante des situations cocasses, servies par une mise en scène stylisée, virtuose (les mouvements de caméra déclenchent un vertige tangible) et poussées à l'extrême (pas de tabou : tout se montre et de près). Les différents tons, tirés comme autant de balles qu'on n'attendait pas, s'enchaînent : les images crues et cruelles sont allégées par un humour noir ; les situations grossières et grotesques débordent vers le surréalisme. L'installation plastique n'est pas loin : la thématique de l'art se pose d'ailleurs à la fin du film. Trois histoires, trois destins d'hommes d'une même lignée s'étalent sur trois périodes de l'histoire hongroise. Au passage, le réalisateur livre une critique acerbe des mœurs, coutumes et politiques de son pays et de son époque, tout en rendant hommage aux hommes : ses personnages (joués par des acteurs hors-pair) aux gueules indescriptibles, aux personnalités insolites.Hard corpsDans la première partie, Vendel, ordonnance solitaire, frustrée et maltraitée par un officier de la deuxième guerre, survit dans une étable attenante aux chiottes. Enclin à des pulsions sexuelles jamais assouvies, il trouve satisfaction auprès d'éléments naturels, jusqu'à copuler avec une femme "cochonne"... Années soixante-dix, deuxième partie. Kalman, "Poussin" de cette union, s'adonne à un sport aussi absurde que répandu : le goinfrage. Sport bovin que pratique sa championne d'épousée. Le couple, filmé façon clichés seventies romantiques, donne naissance à une sorte d'avorton chétif aux antipodes des parents obèses. Voici enfin Lajos, taxidermiste en activité, l'ultime tableau. Solitaire, frustré, rejeté par son père, Lajos, ratignolle triste, a de nombreux points communs avec son aïeul, Vendel. Dans Taxidermie, hommes et animaux se sont interpénétrés, imbriqués étrangement sur plusieurs générations. Lajos, lui, incarne ce trouble passé, et sa fin... Se pose la question de l'Art : on se dit que Vendel pratiquant la bougie aurait pu être un grand performer, tout comme l'avaleur de bouffe, un fameux artiste... Ces trois hommes, créatures "monstrueuses" à la Jérôme Bosch et en lutte contre les pouvoirs, baigneront dans leurs frustrations, éternellement. Taxidermie de György Pàlfi (Fr-Aut-Hongr, 1h31) avec Csaba Czene, Istvan Gyuricza...