Autriche, sa douleur
Retour sur les quatre premiers films de Michael Haneke à l'occasion de la rétro à l'Institut Lumière et de leur sortie en DVD : un quatuor rude et brutal où la forme glaciale conduit à une étude clinique de la violence contemporaine.CC
Aujourd'hui exilé en France qui lui offre un asile de luxe et une solide reconnaissance critique, Michael Haneke a pourtant construit sa réputation dans son pays natal. Soit cette Autriche hantée par la culpabilité de ses crimes pendant la deuxième guerre, que Haneke le moraliste lui a renvoyée en pleine poire le temps de quatre films radicaux. Radicalité posée dès Le Septième Continent, récit en trois parties de l'autodestruction d'une famille ordinaire qui abandonne tout et prépare froidement son anéantissement. Glaciale, la mise en scène fonctionne en plans fixes décadrés, comme des espaces isolés où plus rien ne communique. D'un chapitre à l'autre, les mêmes gestes se reproduisent, toujours entrecoupés par des plans noirs nettement plus longs que la normale, scandés par la radio annonçant la chute du mur ou les affrontements en Palestine. Comme si la routine d'une vie sans humanité conduisait ce couple ordinaire vers un néant programmé avec indifférence. Haneke reprend la syntaxe de Robert Bresson et la met au service d'une étude clinique de la violence. Un projet qui aboutit dès le film suivant, le stupéfiant Benny's video. On y trouve la scène la plus forte de toute l'œuvre d'Haneke : alors que Benny, adolescent apathique, est emmené par sa mère en voyage au Maroc, son père dissimule hors-champ le crime commis par son fils : il a assassiné une jeune fille avec un pistolet à grenaille, filmant la scène avec cette caméra vidéo qui s'interpose toujours entre lui et le monde. Plus qu'une réflexion (attendue) sur le danger des images, c'est bien cette référence dérangeante à la manière dont les Autrichiens ont pu participer à la Shoah qui reste en mémoire.Violence ad nauseamAprès ce coup d'éclat, Haneke s'essaye, dans 71 fragments d'une chronologie du hasard, à une périlleuse déconstruction narrative : un fait-divers dont la causalité est brisée en une multitude de séquences mélangées comme un puzzle. Mais l'œuvre la plus forte de Haneke, sa plus discutable aussi, reste l'impressionnant Funny Games. Il y délaisse sa froideur bressonnienne pour s'offrir des "effets" inédits de sa part : description méthodique et sans espoir du massacre d'une famille par deux adolescents sans états d'âme, Funny Games attaque frontalement la télévision, comme dans cette séquence où un des deux tueurs s'emparent d'une télécommande et rembobine le film pour éviter la mort de son pote. Personne, et surtout pas le spectateur, n'échappera au programme annoncé : vous voulez voir de la violence, vous en aurez jusqu'à la nausée. Posture réflexive où Haneke désigne le public comme un ramassis de voyeur, ce point de vue dérange dans le bon et le mauvais sens : impossible de nier sa puissance cinématographique ; difficile de se voir ainsi stigmatisé comme un pervers assoiffé de sang par un cinéaste qui a fait de la violence, dans le fond, sa marque de fabrique !Rétrospective Michael HanekeÀ l'Institut Lumière jusqu'au 20 octobreLes quatre premiers films de Michael Haneke sont disponibles en DVD chez Opening.