Les imposteurs du polar

Mercredi 8 juin 2005

En un an, le cinéma français a manqué systématiquement ses rendez-vous avec le roman noir. Dernier (piètre) exemple en date, Imposture de Patrick Bouchitey.CC

Quand on regarde le cinéma français des années 80, cette morne plaine au milieu d'un paysage mondial désolé, on constate sans peine qu'un micro-genre a tiré son épingle du jeu et offert les films les plus dignes de la période : l'adaptation cinématographique de roman noir. Coup de Torchon de Tavernier, Série noire d'Alain Corneau, Garde à vue et Mortelle randonnée de Claude Miller, Les mois d'avril sont meurtriers de Laurent Heynemann et même, en plus mineur, La Lune dans le caniveau de Beineix (son seul bon film) : autant de tentatives réussies pour immerger dans la réalité française de l'époque les univers des romanciers anglo-saxons, qu'ils se nomment Jim Thompson, Robin Cook, Marc Behm ou David Goodis. Preuve s'il en fallait une qu'un scénario costaud (et de beaux dialogues, surtout quand ils sont signés Audiard père et fils ou Georges Perec) et une vraie intelligence de mise en scène tiennent mieux le choc des années que des dispositifs formalistes vides de sens.Criminelles adaptationsDans les années 90, le cinéma américain prend le relais et adapte à son tour ses auteurs : une vague autour de Jim Thompson (avec en pole position le beau Les Arnaqueurs de Stephen Frears), un frémissement envers James Ellroy (LA Confidential en attendant Le Dahlia Noir par De Palma), une belle série Elmore Leonard (Get Shorty et Jackie Brown en tête) et quelques essais isolés d'après Edward Bunker (Animal Factory de Steve Buscemi) ou Charles Willeford (le méconnu Miami Blues). Pendant ce temps-là, le cinéma français s'enferme dans ses interrogations narcissiques. On aurait dû se réjouir de le voir arpenter à nouveau ce territoire littéraire. Mais le bilan est franchement négatif. Ainsi de la "mode Westlake" : Thomas Vincent dans Je suis un assassin ratait complètement son affaire en versant dans la grandiloquence gore et l'inquiétude lynchienne. Surproduit mais vide d'enjeux dramatiques, le film est comme l'antithèse du déflationniste Couperet (apprécié par une partie de l'équipe à sa sortie). Costa Gavras a, comme à son habitude, un message à délivrer, mais il ne trouve jamais la forme adéquate pour le faire passer : un coup trop abstraite, un coup trop platement réaliste, la mise en scène instaure une tiédeur rassurante dans lequel vient se dissoudre le discours social inopérant du film. Avec Imposture, Patrick Bouchitey réalise la synthèse de ses deux échecs : complètement nulle dans sa peinture du milieu littéraire (dont on ne sait jamais s'il veut en faire un portrait ironique ou crédible), boursouflée d'effets sur son volet thriller, cette adaptation de Je suis un écrivain frustré de l'espagnol José Angel Mañas manque là encore de matière. Où Bouchitey veut-il en venir ? Faire monter la pression du spectateur ou livrer une nébuleuse réflexion sur la création littéraire ? Pas plus de réussite d'un côté que de l'autre : rebondissements expédiés et citations sentencieuses se rejoignent dans un même ridicule. Qui, s'il ne tue pas encore, ne fait certainement pas avancer l'histoire du cinéma criminel.