« On laisse la fête prendre la forme qu'elle veut » : Voilaaa sound system fête ses 10 ans

Publié Mercredi 26 novembre 2025

Entretien / Dix ans après ses premiers pas sur disque, Voilaaa a enchaîné les tournées internationales, les nuits brûlantes et les centaines de concerts où tout se joue à l'instinct. Un projet ample, fêtard, volontiers insaisissable, qui semble se réinventer à chaque scène. À l'approche de la soirée anniversaire au Transbordeur, Bruno "Patchworks" Hovart revient sur la naissance de cette aventure et sur la manière dont Voilaaa continue de s'inventer en direct.

Photo : © Kymmo

Le Petit Bulletin : Pour commencer, pouvez-vous retracer l'origine de Voilaaa sound system ? D'où est née l'idée, et comment votre parcours personnel l'a façonnée ?

Bruno "Patchworks" Hovart : Il y a une dizaine d'années, j'ai eu envie de me plonger dans les musiques africaines, qui jouissent d'une diversité qui dépasse largement ce que l'on entend en Europe. J'ai commencé par les années 70 : le funk, le disco en Côte d'Ivoire, au Congo... À Lyon, on organisait déjà des petites block parties dans les pentes de la Croix-Rousse. J'écoutais plutôt du roots, mes amis DJ m'ont ouvert à toute une histoire musicale ouest-africaine. De là est né le projet discographique Voilaaa, presque par accident, avec l'envie d'explorer ces territoires.

LPB : Comment passez-vous du projet "Voilaaa" solo, en studio, au "Voilaaa sound system" collectif sur scène ? Quel est le lien entre les deux ?

BPH : Le lien n'est pas évident à tracer. Le disque nourrit la scène, mais le live est devenu une excroissance imprévisible : il n'existe que parce que les morceaux existent, mais il prend une vie propre. Les gens viennent parfois pour entendre un titre précis... qui ne sera pas joué. C'est le jeu : Voilaaa sound system ne reproduit rien, il déroule seulement ce qui nous semble juste au moment présent.

LPB :  Voilaaa sound system est présenté comme un collectif. Qui en sont les membres permanents ? Comment s'organise votre fonctionnement avec les artistes collaborateurs comme Olivya, Ayuune Sule... S'agit-il d'invités ponctuels ou de membres à part entière du collectif ?

BPH : Le noyau, c'est Freakistan au DJ-set, Pat Kalla au chant, et moi. Autour, une galaxie de musiciens proches gravite selon les dates. Ce projet existe parce qu'on vit à Lyon. Tous ceux qui apparaissent sur les disques viennent de l'agglomération, en dehors de quelques exceptions comme Ayuune Sule qui est Ghanéen. Cela dit beaucoup de la manière dont on pense la musique. On l'élabore localement, en bande. On ne trace pas une frontière nette : ce sont des gens qu'on croise, qu'on admire, et avec qui la collaboration se fait naturellement. 

LPB :  Sur scène, comment s'organise l'improvisation entre vous ? Certaines idées ou jams deviennent-elles des morceaux ?

BPH : L'improvisation, c'est tout. À la base, Voilaaa était presque une blague : pas de show lumière, pas de vidéos, pas de photos de presse, une bio qu'on met à jour tous les cinq ans. On n'a jamais répété non plus. On arrive, on ressent la salle, et on construit sur le moment. Ainsi, la setlist n'est jamais figée : certains morceaux de Voilaaa n'ont pas leur place en live, d'autres qu'on n'avait jamais imaginé jouer se mettent soudain à fonctionner parce que le public envoie un bon signal. 

© Kymmo 

LPB : Quels sont les artistes qui vous ont inspiré dans cette démarche de mix des cultures et d'héritages ?

BPH : On s'appuie beaucoup sur ce que Paul Gilroy théorise dans L'Atlantique noir. Cette idée qu'il existe un espace culturel façonné par la traite négrière et le commerce triangulaire, un territoire qui n'est pas un continent mais une circulation. Les musiques voyagent, se déforment, se répondent, et finissent par créer une sorte de matrice commune à tout ce qui borde l'Atlantique : l'Afrique de l'Ouest, les Caraïbes, l'Amérique du Sud, mais aussi une partie de l'Europe du Sud. Je dois citer des inspirations majeures, je dirais Fela, Manu Dibango, Francis Bebey, Tabu Ley Rochereau, Ebo Taylor, Pat Thomas, l'Orchestra Baobab, le compas haïtien, les sons d'Angola... 

LPB : Justement, vous travaillez avec des héritages venus de pays marqués par l'histoire coloniale ou l'impérialisme occidental. Comment rendre hommage à ces cultures sans les réduire à une démarche esthétique et musicale ? 

BPH : C'est une question qu'il faut se poser. Qui sommes-nous pour faire cette musique ? Je revendique de ne pas avoir de racines africaines, mais d'être nourri, depuis longtemps, par ces cultures, par mes amis, par mon environnement. Il y a aussi un rapport à la sociologie, à l'histoire. J'ai grandi dans une génération marquée par Radio nova et ce qu'on appelait à l'époque la "sono mondiale", où la contextualisation historique comptait autant que le groove. Ça, ça ne m'a jamais quitté. La limite, c'est de ne jamais se poser en porte-parole. Je fais la musique que j'aime, en assumant d'où je viens et en veillant à de ne pas faire d'appropriation, en ne revendiquant pas appartenir à telle ou telle culture.

LPB :  Vous êtes installés à Lyon depuis longtemps, et les Pentes de la Croix-Rousse ont été votre terrain de jeu. Comment la scène musicale a-t-elle évolué ? Un projet comme le vôtre pourrait-il naître aujourd'hui ?

BPH : Lyon reste fertile, mais les Pentes ne jouent plus leur rôle de refuge comme avant. La gentrification a modifié les rencontres spontanées, ces croisements vertueux entre musiciens. Il y a moins de QGs informels, moins de petits lieux comme des café-concerts qui faisaient office de tremplin. Pourtant, quand on se retrouve à l'étranger, en festival ou en concert, des personnes nous disent être étonnées de ce qui se passe ici : la profusion de projets et d'artistes, comme Vaudou game ou Dowdelin. Cela montre que Lyon est loin d'être à la traîne, aussi grâce à des salles telles que Le Periscope, le Grrrnd zero, Le Sonic et d'autres lieux qui tiennent bon. Je pense qu'un projet comme Voilaaa pourrait encore naître. Peut-être différemment, mais l'écosystème favorable existe toujours, parce que les musiciens finissent par se croiser, quoi qu'il arrive. 

LPB : Pouvez-vous nous parler de la soirée du 5 décembre au Transbordeur ?

BPH : On ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre, c'est le principe. Il y aura l'équipe historique, et une personne qui compte énormément pour nous : Florence Mambo chick, qui jongle entre Guadeloupe et Annecy, et qui ouvrira la soirée en DJ-set. On fêtera dix ans de Voilaaa en faisant ce qu'on fait le mieux : laisser la fête prendre la forme qu'elle veut ! 

Voilaaa, 10 ans
Vendredi 5 décembre 2025 au Transbordeur (Villeurbanne) ; 12 €

Voilaaa sound system

Composé du producteur Bruno "Patchworks" Hovart, du DJ fFreakistan et du conteur et chanteur Pat Kalla, le Voilaaa sound system propose un mélange des rytmes afro et funk avec une pointe de disco. Pour fêter leurs dix ans d'existence, les voici au Transbordeur avec un warm-up signé par la collectionneuse de vinyles Mambo Chick.