Lionel Baud : « Anticiper, garder le cap et foncer »
Economie / Piloter une entreprise et piloter un bolide : pour Lionel Baud, la logique est parfois la même ! Ce passionné de sport automobile et également président du conseil d'administration de la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes raconte son itinéraire et livre sa feuille de route aux commandes de Baud Industries, entreprise spécialisée dans le décolletage avec dix sites dans le monde, 600 salariés et un chiffre d'affaires de 140 millions d'euros.
Photo : © Erich Zann
Propos recueillis par Victor Guilbert
Comment avez-vous mis un doigt dans l'engrenage de la mécanique de précision pour en arriver à piloter aujourd'hui un groupe international de décolletage ?
LB : Mon père m'a laissé le choix : partir ou apprendre le métier avec lui. J'ai choisi la mécanique de précision. À 20 ans, je passais mes journées sur les tours automatiques, dans l'odeur d'huile et de métal, à régler des machines où chaque centième de millimètre compte. Trois ans plus tard, il m'a lancé un défi fou : construire ma propre usine. J'avais 23 ans, deux machines, un champ dans le Jura et une forte ambition. On a commencé à trois, dans le froid, avec des moyens dérisoires, mais une énergie incroyable.
BIO EXPRESS :
18 septembre 1967 : naissance à Ambilly (Haute-Savoie).
1987 : intègre l'entreprise familiale comme décolleteur.
1997 : après avoir remporté deux fois la formule de promotion Coupe 106 Terre, met fin à sa carrière en compétition automobile pour se consacrer pleinement à l'entreprise familiale.
2000 : nommé PDG de l'entreprise familiale.
2007 : devient président du Syndicat national du décolletage.
2014 : nommé président de la Banque populaire des Alpes.
2018 : nommé président de la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes.
2019 : sacré champion de France des rallyes terre avec sa fille Lucie.
2021 : reçoit l'insigne de chevalier de la Légion d'honneur.
2025 : 3e Français au Dakar et 17e de la catégorie ultimate.
En 2000, vous devenez PDG du groupe familial à 33 ans. Quel souvenir gardez-vous de ce moment ?
LB : Une immense responsabilité. Mon père nous a réunis, mes deux frères et moi. Il nous a annoncé qu'il se retirait et qu'il partait vivre à 300 kilomètres pour ne pas interférer. Il nous a dit : « À vous de travailler ensemble. » Mon frère aîné était ingénieur mais pas manager, le plus jeune ne connaissait pas encore le métier. Moi, j'avais l'expérience technique et le management, alors il m'a confié la présidence. À ce moment-là, le décolletage était à son sommet... avant de plonger dans une crise structurelle. Les fonds de pension ont racheté les grandes entreprises, avec des choix stratégiques incohérents. J'ai dû apprendre vite, comprendre les enjeux, et c'est ce qui m'a poussé à m'engager dans le syndicat professionnel. J'ai découvert que dans les moments de crise, la solidarité existe... mais dès que ça repart, chacun a tendance à retourner à son clocher. C'est une leçon de vie : dans l'entreprise comme dans le sport, il faut savoir fédérer avant que tout s'effondre.
Votre parcours est aussi marqué par une passion : le sport automobile. Quel lien avec votre métier ?
LB : Le Dakar, c'est 8 000 km, des nuits blanches, des imprévus. Comme dans l'entreprise, il faut aligner la vision, la technique et l'humain. Le sport m'a appris la préparation mentale, la persévérance et le goût du challenge. Et surtout, à mettre l'humain au centre. Dans la voiture, je pilote avec ma fille comme copilote. Dans l'entreprise, je pilote avec mes équipes. Deux univers, une même philosophie : ne rien lâcher. Et puis, il y a cette adrénaline : quand vous êtes dans le sable, face à une dune, vous devez décider vite. C'est pareil quand une crise frappe votre secteur : il faut analyser, anticiper et foncer.
On pilote vraiment une voiture comme on pilote une entreprise ?
LB : Pas tout à fait. Dans la voiture, c'est moi qui suis aux manettes. Dans l'entreprise, je suis là pour aligner les équipes, la vision et la stratégie. Mais il y a des points communs : la préparation, la maîtrise technique, la capacité à s'adapter. Et surtout, la gestion des imprévus. Dans le sport, un accident vous oblige à revoir tout votre plan. Dans l'entreprise, une crise sanitaire ou énergétique, c'est pareil. Ce qui compte, c'est aussi la résilience et la cohésion.
Vous présidez aussi la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes. Pourquoi cet engagement ?
LB : En 2011, la Banque populaire des Alpes m'a proposé d'intégrer son conseil d'administration. Je ne connaissais rien à l'univers bancaire, mais la Banque populaire avait financé la première machine de mon père en 1978. C'était une évidence.
J'ai découvert une culture entrepreneuriale proche de la nôtre. Puis, nous avons mené un projet incroyable : la fusion de trois banques pour créer la Banque populaire Aura, aujourd'hui leader sur son territoire. Une banque coopérative, ancrée localement, qui accompagne la transition énergétique et la réindustrialisation. Et qui sait aussi se réinventer : nous lancerons prochainement une appli pour les jeunes, parce que la simplicité est la clé.
Justement, quel regard portez-vous sur l'avenir industriel français ?
LB : La France a perdu la moitié de son industrie en vingt ans. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont rappelé l'urgence de la souveraineté. Réindustrialiser prendra du temps, mais la transition écologique ouvre des opportunités. Il faut un cadre politique favorable à l'innovation et à la production en France. Et des banques engagées pour financer cette transformation. Notre région est la première région industrielle de France : nous avons donc un rôle majeur à jouer.
Chez Baud Industries, vous avez créé la Baud Academy. Pourquoi ?
LB : Parce que l'humain est au cœur de notre performance. C'est essentiel de former nos talents, de préparer nos leaders et de transmettre notre culture et nos valeurs qui sont la passion, la confiance, l'engagement et l'audace.
Nous voulons que 80 % de nos managers soient issus de l'interne.
Par ailleurs, nous préparons la troisième génération de dirigeants, avec un conseil de famille et des rencontres régulières afin de faire perdurer notre raison d'être : « Créateur d'émotions humaines et technologiques ». Et notre plan stratégique 2030 aligne tout l'ensemble : vision, organisation et projets. Comme dans une course, il faut que tout soit réglé au millimètre avant de se lancer sur la piste.

