Laurent Garnier : Think different

Portrait / Véritable légende vivante et figure emblématique de toute la génération techno, Laurent Garnier prouve avec le très cinématique The Cloud Making Machine qu’il est bien plus que le meilleur dj du monde : un musicien inspiré et un authentique créateur de formes. Hugo Gaspard

Résumer sa carrière reviendrait à réécrire l’histoire de tout le mouvement techno, ce dont il s’est d’ailleurs lui-même chargé l’an passé, dans Electrochoc, ouvrage aussi passionnant que crucial, écrit avec son ami journaliste David Brun-Lambert (Flammarion). Disons qu’en quinze ans, Laurent Garnier est “simplement” parvenu à faire accéder à la reconnaissance publique et critique, le deejaying et la musique électronique, animé d’une foi indéfectible et, chose moins courante, d’un refus absolu des chapelles. A la fois leader et électron libre d’un mouvement dont il est à corps défendant l’emblème, Garnier, c’est une technique remarquable et des mixes toujours plus étonnants et éclectiques, ce dont le gargantuesque Excess Luggage, enregistré dans cinq pays différents, donne un excellent aperçu. Mais, paradoxalement, cette ouverture d’esprit peu commune, érigée en marque de fabrique et nourrie par des heures passées dans les salles de concert, toujours à la découverte de nouveaux univers musicaux (de Lhasa aux White Stripes, en passant par TTC ou Amon Tobin) l’aura presque desservi, lui qui reste cantonné pour beaucoup, au rôle de dj (certes, vraisemblablement le meilleur du monde…) sans être considéré comme un musicien à part entière. Une injustice et une frustration jamais vraiment guérie, malgré les hommages récurrents de ses pairs et le soutien indéfectible du public.New conception of…Attendu depuis cinq ans, autant dire des lustres dans un milieu où tout est au diapason du nombre de bpm, le successeur de Unreasonable Behaviour allait-il enfoncer le clou ou se poser comme une réponse (ferme sinon définitive) à ses détracteurs ? Ce quatrième opus studio ne s’est en tout cas pas fait dans un quelconque esprit revanchard. «J’avais simplement envie de faire de la musique, de faire un album. Quand je me suis posé pour composer, j’ai commencé par écrire des titres techno. Mais très vite, j’ai trouvé que je me répétais et que cela ne me correspondait pas ou plus, après tout ce que j’avais fait de différent depuis quatre ans, entre les bande-sons (pour des courts-métrages et un dessin animé toujours inédit, ndlr), le travail pour la fondation Albert Kahn ou PBB (sa propre radio sur internet, www.pedrobroadcast.com, en réponse au formatage de plus en plus inquiétant des stations françaises, ndlr)». Son ami David Brun-Lambert confirme : «The Cloud Making Machine est à l’image de son géniteur : exigeant, passionné, casse-cou, doué, curieux, versatile. Différent». Différent. Le mot est lâché. Ni exercice savant, ni testament de la techno, The Cloud Making Machine s’inscrit en fait, dans la suite logique du parcours de ce musicien inclassable, qui considère les machines comme un outil et non comme une fin en soi. «J’ose seulement espérer que faire un album comme celui-ci marquera la fin d’un certain sectarisme. Je ne suis pas sûr qu’il va vraiment faire bouger les choses. Il va en perturber pas mal et c’est déjà énorme».Electronic with no limitVolontairement à contre-courant de la production mainstream, The Cloud Making Machine est conçu comme un carnet de voyage cinématique de quatre années de vagabondage musical. Au risque de dérouter, Garnier ne s’y impose aucun format, aucune limite, joue à fond la carte de l’hybridation dans la lignée des artistes Ninja Tune ou Lex dont on sent la parenté de plus en plus évidente. Et abandonne naturellement la posture démiurgique pour celle inhabituelle pour lui, de chef d’orchestre, demandant à Stéphane Dri, alias Scan X de donner corps aux textures sonores composées sur son ordinateur. «L’éditing, la programmation, ça me fait bander. Par contre, le mix, ce n’est pas mon truc. Steph, c’est son boulot. Je voulais un rendu différent des sons faits sur ordinateur, avec moins de brillance dans les aigus et plus de basse. On a travaillé ensemble, mais jamais en même temps. Il mixait les morceaux chez lui avec une oreille super fraîche. Je lui disais juste que j’avais envie que cela sonne de telle ou telle manière, et il revenait avec plusieurs propositions différentes, écoutait mes remarques, retravaillait avant de me soumettre la version définitive. C’est un grand méticuleux. Tout le long, il m’a vraiment soutenu. Tout seul, j’aurais eu vachement plus de doute…». Introspectif, intime, profond, sombre, expérimental…, The Cloud Making Machine couvre un spectre déroutant de possibles, provoquant quelques beaux frissons avec les points d’orgue évidents que sont Barbiturik blues ou le sublime Huis-clos, porté par la voix exceptionnelle du joueur d’Oud Dhaffer Youssef. Deux titres qui consacrent surtout Bugge Wesseltoft comme l’élément catalyseur du virage onirique pris par Garnier. «Je voulais travailler avec des gens que j’admire. Le seul mot d’ordre : que cela reste dans le domaine du rêve». Dès lors, (I wanna be) waiting for my plane ou Controlling the house Pt.2, base d’un futur maxi de remixes orientés dancefloor, raisonnent comme les résurgences d’une efficacité aujourd’hui secondaire. N’en déplaise à quelques uns…The Cloud Making machine (F-communications) sortie le 2 février

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