En décembre dernier, le Musée de Grenoble a enrichi sa collection d'art moderne avec le petit format en papier collé "Verre" de Pablo Picasso. Une acquisition impossible sans le soutien de son Club de mécènes qui a financé l'achat de cette toile rare et onéreuse (750 000 euros) pour plus des deux tiers. Coup de projecteur sur ce modèle de partenariat privé, devenu un atout puissant du musée et un exemple de mécénat qui fait ses preuves. Christine Sanchez
C'est en 2010 que le Club des mécènes du Musée de Grenoble a vu le jour, à l'initiative du député maire Michel Destot qui a voulu fédérer les principaux entrepreneurs investis sur le territoire local pour mettre en place un pôle de partenaires privés et favoriser le rayonnement culturel de la ville. Depuis, ce club fonctionne « en harmonie » avec la direction du Musée, sous la présidence du grand industriel lyonnais Alain Mérieux. Composé de trois membres fondateurs (bioMérieux, la Caisse d'Epargne Rhône-Alpes, la Fondation Schneider Electric) et de deux partenaires (Le Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes, Soitec), il a deux objectifs majeurs : acquérir de nouvelles œuvres d'art et accroître la visibilité régionale et nationale du Musée. Des missions bien remplies, selon Danièle Houbart, chargée du mécénat au Musée de Grenoble. « Ce mécénat d'entreprise est un plus financier de poids, sans lequel les acquisitions des deux grandes œuvres que sont Le Songe de Jacob de Gioacchino Assereto et le collage cubiste Verre de Pablo Picasso n'auraient pas été imaginables. Le Club nous permet encore d'atteindre d'autres publics, en allant bien au-delà de nos réseaux d'affichages et des achats traditionnels d'espaces dans la presse. »
« Un élément essentiel de notre établissement »
En effet, l'implication du club a ainsi permis le déploiement de plus gros moyens de communication pour accompagner la promotion d'une grande exposition temporaire par an, Chagall, l'avant-garde russe en 2011, Die Brücke (1905-1914), aux origines de l'expressionnisme en 2012 et l'exposition Alberto Giacometti en mars 2013. Avec succès, la seule exposition Chagall affichant une fréquentation record de 143 000 visiteurs, loin des chiffres habituels. D'autre part, des actions de relations publiques sont régulièrement menées à destination des adhérents du club, qui peuvent organiser des évènements in situ pour leurs invités ou faire bénéficier leurs membres d'invitations et de visites dédiées. « Outre l'aspect financier, ajoute Danièle Houbart, le Club des mécènes est devenu un élément essentiel de notre établissement. La relation que nous entretenons désormais avec ces grandes entreprises et ces grands établissements bancaires nous apporte énormément sur le plan humain. » De leur côté, les mécènes y trouvent également leur compte, au-delà des avantages fiscaux prévus par la législation actuelle. Ce que confirme Sophie Sabran, directrice des affaires générales et institutionnelles de la Caisse d'Épargne. « Cette appartenance au Club des mécènes, corollaire à un engagement sociétal plus large, pour l'emploi ou les personnes en grande difficulté, est en accord avec la volonté d'implication territoriale de notre banque coopérative. L'image positive, puissante, véhiculée par notre soutien au musée est un vecteur de communication externe qui témoigne de notre investissement pour le bien-être des populations locales. »
Le directeur, seul maître à bord
Mais alors, pourquoi un tel modèle n'est pas plus répandu ? Les instances culturelles craindraient-elles de perdre (une part de) leur liberté sous l'égide de mécènes devenus indispensables ? Le questionnement est légitime, revenant souvent dans les débats sur le sujet, inquiétant une partie des acteurs culturels craignant d'être dépossédés. Sophie Sabran balaie cet argument. « Il est évident que pour nous, le directeur du musée est le seul à savoir bâtir une collection et à pouvoir déterminer la dimension artistique d'une œuvre. En tant que mécène, nous n'en avons ni l'ambition, ni les compétences. Ce sont les conditions financières qui vont faire que nous allons pouvoir répondre favorablement ou non à une proposition d'acquisition ou de financement. » À moins que les budgets publics dédiés ne fassent les frais des prochains arbitrages budgétaires ou que l'État ne décide carrément de remettre en cause les dispositions incitatives de défiscalisation existantes depuis la loi Aillagon de 2003. Soient 60 % au minimum de déduction d'impôt sur le don, mais 90% ici dans le cas du Picasso qui a bénéficié d'un statut particulier suite à la réunion d'une commission assujettie à la décision des ministères de la culture et du budget. Preuve que ces deux-là peuvent s'entendre sur l'épineuse question du mécénat privé, et ce malgré la récente passe d'armes entre Aurélie Filippetti et Jérôme Cahuzac, lequel avait présenté en juin dernier le mécénat comme une niche fiscale de plus (Bercy voulait couper de moitié les incitations fiscales pour les entreprises mécènes, mais la mesure a été finalement retoquée en Conseil des Ministres le 4 juillet et sortie du plan de rigueur, suite aux vives protestations soulevées dans le monde culturel).