Les forçats de la route. Tous les (bons) journalistes connaissent cette série mythique d'articles signés Albert Londres. Nous sommes en 1924. Missionné par Le Petit Parisien, le reporter colle aux basques des coureurs du Tour de France. Drôlissime autant que dramatique, son récit décrit le calvaire et les drames du peloton d'antan. Les cadences infernales pour couvrir plus de 400 km par jour. Les aléas météo, le sale état des routes, les crevaisons par dizaines...
Un demi-siècle et quelques tours de roues plus tard. Nous sommes en 1977 et Bernard Hinault est maillot jaune du Critérium du Dauphiné Libéré, comme on appelait l'épreuve alors. Il chute dans un ravin en descendant du col de Porte. Il repart. Mais voilà la montée de la Bastille, un mur. Près de 2 km à 14, 8% de moyenne, avec des passages à 26%... Insurmontable. Hinault met pied à terre. « Je n'en peux plus ». Poussé par son équipe, il marche quelques pas dans la côte, se remet en selle. Et boucle, dans la souffrance, le kilomètre qui le sépare de la victoire.
Si le monde du vélo a bien évolué depuis, l'expression "forçats de la route" demeure associée aux cyclistes d'aujourd'hui, bien que surentraînés, suréquipés, scrutés – voire aidés par quelque substance chimique, on va pas se mentir. Nous serons dimanche 11 juin. Une autre génération de coureurs s'élancera entre Pont-de-Claix et Grenoble, étape finale du Critérium 2023. Ils ne prennent pas la voie verte comme vous et moi ; leur parcours de 153 km traversera les cols des Mouilles, du Granier, du Cucheron, de Porte. Et la Bastille en dessert. "Forçats", le mot est juste...