Cette rentrée 2015 ressemble à une conjonction astronomique exceptionnelle : naines, géantes, à période orbitale longue ou courte, toutes les planètes de la galaxie cinéma s'alignent en quelques semaines sur les écrans. Sortez vos télescopes ! Enfin... chaussez vos lunettes. Vincent Raymond
C'est l'étoile Jacques Audiard, tout de Palme laurée, qui a annoncé la fin de la trêve estivale en mettant Dheepan en orbite le 26 août — une précocité qui n'égale pas celle de Winter Sleep l'an passé : le film de Nuri Bilge Ceylan avait jailli début août sur les écrans.
Dans son sillage, l'intégralité (ou presque) du palmarès cannois va se révéler : Mon roi de Maïwenn (Prix d'interprétation féminine pour Emmanuelle Bercot) et Chronic de Michel Franco (Prix du scénario) le 21 octobre, The Lobster de Yorgos Lanthimos (Prix du Jury) le 28, Le Fils de Saul de László Nemes (Grand Prix) le 4 novembre. Si l'on excepte Maïwenn, il y a là un étonnant tir groupé ; comme si les jeunes cinéastes étrangers distingués sur la Croisette s'étaient ligués pour tenter d'exister commercialement.
Car la concurrence en salle sera rude : d'abord, les poids lourds écartés de Cannes mais chouchous du public préparent leur revanche. Youth, nouvelle méditation mélancolique sur l'âge et le temps qui file signée Paolo Sorrentino, réunissant Michael Caine, Harvey Keitel ainsi qu'une femme nue sur son affiche, ouvre le bal (16 septembre). Sicario, le thriller transfrontalier de Denis Villeneuve au casting béton (Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin) lui emboîtera le pas (7 octobre), avant Notre petite sœur, où Hirokazu Kore-Eda s'intéresse à nouveau à une reconfiguration familiale (28 octobre). On attendra pour découvrir celui qui fut Palme virtuelle jusqu'à la clôture, Mia Madre de Nanni Moretti, bien placé pour faire sortir les mouchoirs en famille pendant les fêtes (2 décembre).
Mais Cannes, ce n'est pas que la compétition : il faut aussi compter avec (et sur) les sélections parallèles, souvent chargées de pépites sidérantes. Telle la Quinzaine des réalisateurs, qui a déjà livré cette année Mustang de Deniz Gamze Ergüven et le Desplechin. Sont ainsi attendus Much Loved de Nabil Ayouch — une histoire de prostituées de Marrakech qui a été censurée au Maroc — le 16 septembre, et Fatima de Philippe Faucon, portrait juste et sensible d'une femme de ménage élevant seule ses deux filles, tourné autour de Lyon (7 octobre). Le même décor a accueilli la première réalisation du scénariste de Jacques Audiard, Thomas Bidegain, pour Les Cowboys, un drame prometteur se déroulant dans le milieu country, dans lequel il dirige François Damiens (25 novembre).
Les revenants
Par-delà la constellation cannoise s'annoncent moult retrouvailles. Les métronomes seront au rendez-vous : on n'échappera pas au rendez-vous coutumier avec Woody Allen pour L'Homme irrationnel, un drame sentimental réunissant Parker Posey et Emma Stone autour de Joaquin Phoenix (14 octobre), et l'on s'attend à voir Jean Dujardin dirigé par Claude Lelouch dans Un + Une — tiens, un titre auquel il n'avait pas encore pensé, qui laisse imaginer l'histoire d'un homme et d'une femme (9 décembre). Plus inattendu (donc excitant) est le retour de Jean-Paul Rappeneau avec Belles familles (14 octobre). Ce Howard Hawks français (dont le rythme de production actuel rappelle plutôt le Kubrick tardif) était absent depuis Bon Voyage ! (2003) ; il se rattrape avec une distribution pléthorique, emmenée par Mathieu Amalric.
Trois révélations des années 2000 refont également surface sur les écrans radar cet automne : M. Night Shyamalan, Alejandro Amenábar et Philippe Ramos. Le premier, ex-enfant chéri des studios, en recherche d'un vrai carton depuis dix ans, tentera se refaire une santé avec une production d'épouvante minimaliste, The Visit (07 octobre). Le deuxième mettra un terme à six ans de silence avec le thriller Regression, interprété par Emma Watson, Ethan Hawke et David Thewlis (28 octobre). Quant au troisième, il livre avec Fou d'amour (16 septembre) un film drôle et dérangeant, inspiré d'un fait divers authentique : cette histoire d'un prêtre suborneur qui finit décapité est dominée par un Melville Poupaud magistral et inspiré — le comédien sera d'ailleurs très à l'honneur en cette rentrée.
Les armaggedon du box office
En léger retrait par rapport à 2014, la fréquentation pourrait bénéficier d'un réel sursaut grâce au concours de deux astres massifs prévus pour la fin d'année, 007 Spectre de Sam Mendes (11 novembre) et Star Wars Épisode VII - Le Réveil de la Force de J.J. Abrams (18 décembre). Leur point commun ? S'inscrire dans des franchises multi-milliardaires et touchant plusieurs générations. Leur atout maître ? Être signés, l'un comme l'autre, par des auteurs, capables d'élargir le spectre (ah ah) de leur public potentiel aux cinéphiles hardcore. Concernant 007, Mendes ("academyawardisé" pour American Beauty) s'était fait supplier par la production de re-signer pour un épisode après le triomphe Skyfall, premier Bond de la série à dépasser le milliard de dollars de recettes et à décrocher un Oscar de la meilleure chanson originale grâce à Adele. Ici, avec Christopher Waltz en méchant et le duo Léa Seydoux/Monica Bellucci, il joue sur du velours — cela, malgré Daniel "Mr. Patate" Craig. Côté Star Wars, J.J. Abrams était sans doute l'unique réalisateur capable de tendre un pont entre les trekkies et les fans de Star Wars sans risquer l'excommunication de la part de l'une ou l'autre des factions. Et le seul susceptible de respecter la doxa lucassienne tout en dépoussiérant «l'Univers étendu» du démiurge. Quoi qu'il arrive, ce Spielberg junior aura eu le plaisir de ressusciter Luke, Leia et Han Solo... au profit de Walt Disney. On se croirait dans un monde parallèle.
Il ne manquerait qu'un petit Coen pour finir en beauté, non ? Écrit par les brothers, le thriller Le Pont des espions propulse un avocat campé par Tom Hanks en pleine Guerre froide, le tout sous la direction de... Steven Spielberg (2 décembre). Comme un air de cerise sur la bûche de Noël...