Lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la nuit à Lyon : tout repose sur les structures

(Un)safe place / À Lyon, la lutte contre les violences sexistes, sexuelles et discriminatoires trace une frontière presque palpable entre les lieux de fête qui souhaitent protéger leurs usagères, et ceux dont ce n'est pas encore la priorité. Une hétérogénéité facilitée par la non-intervention des pouvoirs publics.

« J'ai commencé à changer mes habitudes de sortie sans y penser, je crois qu'il n'y avait pas grand-chose de politique là-dedans, c'était naturel », évoque Delphine, éducatrice spécialisée, croisée aux alentours de minuit place des Terreaux (Lyon 1ᵉʳ). Bras-dessus bras-dessous avec son amie Gaëlle, elles rentrent chez elle : « On a envie de poursuivre la soirée, mais rien ne nous intéresse dans les lieux ''safe'' », raconte Delphine qui énumère moins d'une dizaine de bars dansants ou boîtes de nuit lyonnaises : « Soit la musique ne nous plaît pas, soit c'est trop loin, soit c'est complet ce soir. Donc on préfère rentrer plutôt que de jouer avec le destin ».

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« Une fois sur deux tu tombes sur une jungle de tripoteurs »

Par « jouer avec le destin » Delphine entend tester un nouveau lieu de fête. Une initiative qui lui a valu de très mauvais souvenirs, parfois même des traumatismes au cours des dernières années. « Une fois sur deux tu tombes sur une jungle de tripoteurs » s'esclaffe son amie.

Une assertion qu'on pourrait croire dépassée, sept ans après le début de l'inarrêtable vague MeToo, cependant les statistiques nationales sur les violences sexistes et sexuelles n'ont pas beaucoup baissé depuis, et comme le rappelle la dernière enquête Virage, de l'Institut national d'études démographiques « Pour les femmes […] Les violences physiques, harcèlement et violences sexuelles se produisent un peu plus souvent après la tombée de la nuit que les autres formes de violence. »

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Si MeToo n'a pas fait disparaître les agresseurs du monde de la nuit, celle-ci a tout-de-même permis une première remise en question et salve d'initiatives de certains de ses habitués. Parmi elles, celle de l'association Purple effect en 2021, fondée par des bénévoles de l'association organisant des soirées électro Tapage nocturne à Lyon. « On voulait défendre les valeurs de la techno, et qu'il y avait tout un travail de médiation à faire autour des notions de consentement », raconte Roxana Piatkowska-Wu, cofondatrice et présidente de l'association composée d'une cinquantaine de bénévoles. « On martèle qu'il n'y a pas de profil type. Non seulement les agresseurs sont issus de toutes les classes sociales, mais surtout, beaucoup d'agressions se déroulent dans des cercles d'amis, des personnes qui sont venues ensemble à une soirée. »

Les associations de bénévoles croulent sous les demandes

L'association est appelée régulièrement pour tenir un stand et effectuer des maraudes durant des soirées et festivals lyonnais (au Transbordeur, mais aussi au CCO La Rayonne, au festival Reperkusound...), représentant plus d'une centaine d'interventions l'année dernière.

« On n'est pas assez pour couvrir les événements, c'est pour ça qu'on essaye surtout de responsabiliser le public. Chacun(e) doit faire attention autour de soi ». La présidente déclare « crouler sous les demandes », l'équipe se voit donc contrainte de refuser régulièrement de participer à des soirées, faute de temps, et de moyens. « On est en train de plancher sur nos premières demandes de subventions », déclare Roxana Piatkowska-Wu qui travaille à professionnaliser l'action de l'association, épaulée par un incubateur en économie sociale et solidaire régional, Ronalpia.

« C'est un de nos sujets majeurs post-covid », déclare de son côté Lise Epinat, responsable communication du Transbordeur. Elle évoque la vague MeToo mais aussi le mouvement de panique suscité par le phénomène des piqûres sauvages en 2021. « C'était traumatisant pour toutes les équipes, on se sentait vraiment démunis » se remémore cette dernière, « Notre premier chantier a été de former toutes nos équipes avec l'association Egae. » Une formation qui a permis de « reposer les bases » et de réfléchir à une campagne de signalétique ambitieuse et visible dans toute la structure. Depuis, le Transbordeur fait appel à Purple effect, mais aussi Keep smiling pour la plupart de ses soirées tardives. « Quand on travaille avec [l'organisateur de soirée lyonnais ndlr] Totaal Rez par exemple, ils viennent avec leur propre équipe de sensibilisation Good night », précise Lise Epinat.

La difficile formation des équipes de sécu

Un premier pli qui commence donc à être pris par de nombreux acteurs, et même sacrément marqué par certains, comme au Sucre, club émanant des nombreux projets d'Arty farty, l'association organisatrice des Nuits sonores. L'entité protéiforme a imposé une signalétique claire dans tous ses événements, mais aussi des ''social corner'' pour recueillir la parole des fêtard(e)s, ainsi que la présence de personnels de médiation salariés à chaque événement.

Ajout récent à cet arsenal ambitieux : impossible de pénétrer sur le rooftop du Sucre sans être intercepté par un ''door host'' au look pailleté, s'assurant que chacun(e) a bien compris les règles du lieu avec un speech bien rôdé sur le consentement et toutes les formes de discriminations. « On a lancé ça pour la première fois pour le week-end de 48 heures ininterrompu célébrant les 10 ans du Sucre, en juillet 2023 », se remémore Nolwenn Vallin, chargée de médiation publique à Arty Farty. Une initiative d'inspiration belge dont les équipes n'envisagent aujourd'hui plus de se passer.

Bon nombre de structures lyonnaises n'ont donc pas attendu que le Centre national de la musique (CNM) conditionne ses aides à la formation des équipes aux questions de violences sexistes, sexuelles et discriminatoires pour agir et tenter d'endiguer le phénomène.

Cependant, certaines difficultés perdurent et les dispositifs les plus ambitieux, salariant du personnel, coûtent. Parmi les obstacles majeurs, la difficulté de former les équipes de sécurité prestataires, qui renouvellent sans cesse leurs effectifs. « Pour Nuits sonores on organise des briefs importants avec les chefs d'équipes. On les sensibilise à ce que sont les violences sexistes, on explique qu'on ne veut pas de files genrées, on rappelle les premiers mots à avoir face à une victime, mais on sait qu'il y a un risque de déperdition », regrette Nolwenn Vallin.

Des boîtes de nuit qui se cachent

Des axes d'amélioration importants qui sont à des années lumières des préoccupations de la plupart des boîtes de nuit lyonnaises, « qui ne prennent même pas la peine de faire semblant d'en avoir quelque chose à faire », déclare Delphine, toujours place des Terreaux.

Dans bon nombre des bars dansants et des boîtes de nuit de Lyon, pas de signalétique rappelant les bases du consentement, aucune formation dispensée aux équipes, encore moins d'équipes de médiation. Des structures qui n'ont pas non plus pris la peine de « faire semblant » avec le Petit Bulletin. Des clubs latinos de Villeurbanne, en passant par ceux branchés de la Presqu'île, jusqu'au président du syndicat de l'hôtellerie du Rhône et patron du Loft Thierry Fontaine, notre modeste bimensuel a entendu les tonalités de nombreux répondeurs. Certains ont daigné répondre, mais déclaré ne pas souhaiter évoquer ce sujet-là en particulier. Pourquoi ? « Ça ne m'apportera que des emmerdes ». Le ton est donné.

« La fête en France, c'est encore très tabou »

« Il faudrait une intervention du public », peste Roxana Piatkowska-Wu, avant de reprendre : « La fête en France, c'est encore quelque chose de très tabou, les pouvoirs publics considèrent que cela ne les regarde pas ».

Une spécificité de l'hexagone d'autant plus criante qu'à quelques centaines de kilomètres, la municipalité de Barcelone a récemment fait parler d'elle en instaurant un ambitieux protocole de lutte contre les violences et harcèlement dans le monde de la nuit. Baptisé ''No callem'', le dispositif finance la formation du personnel des établissements de nuit pour adopter les bons réflexes lorsqu’une agression est commise : isoler la victime, bloquer les accès, demander à la sécurité d'intercepter le présumé coupable…

La Préfecture du Rhône a répondu tardivement à nos demandes, en rappelant le plan anti-GHB de Marlène Schiappa et en énumérant les différents dispositifs mis en œuvre par l'État tels que la plateforme arretons les violences et la campagne de communication réalisée par l'UMIH du Rhône la Ville de Lyon. L'État finance aussi des dispositifs de prévention tels que de la médiation nocturne portée par l'ALTM, des interventions en classe pour les lycéens ou sur des stands pour les étudiants et les milieux festifs, ainsi que l'accompagnement des organisateurs d’évènements festifs dans leurs démarches de prévention ou réduction des risques porté par Avenir santé France.

La Ville de Lyon déclare avoir rencontré plusieurs fois les acteurs les plus volontaires du monde de la nuit, comme Arty farty. Cependant, elle se borne pour l'instant à penser la sécurité dans les rues, avec le fameux dispositif Angela et les quelques médiateurs de l'agence Lyon tranquilité médiation qui sillonnent les quartiers animés en soirée. « On travaille à l'élaboration d'une charte contre le harcèlement avec la mairie du 4ᵉ », précise tout-de-même Mohamed Chihi, adjoint en charge de la sûreté, de la tranquillité et de la sécurité.

Au festival Réel, « c'était la priorité des jeunes »

De son côté, Agathe Fort, ajointe à l'inclusivité, la lutte contre les discriminations et la santé de Villeurbanne, déclare prendre à bras-le-corps la problématique, surtout depuis le festival Réel, organisé par Villeurbanne en tant que capitale française de la culture. « La lutte contre le harcèlement, les discriminations, étaient les premières préoccupations des jeunes qui préparaient le festival avec nous. On a imprimé des signalétiques, organisé un pédibus, bâti une ''safe zone''... C'était très enrichissant. »

Depuis, elle anime un groupe de travail biannuel sur cette thématique avec les grands acteurs de la nuit du territoire. « On veut aboutir à une charte d'engagement réciproque », déclare-t-elle, avant de reprendre « On ne peut pas dédier de grosses subventions, on n'en a pas les moyens. Il faudrait que l'État s'en préoccupe mais je n'y crois pas trop. Les organisations féministes demandaient un milliard, elles attendent toujours. »

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