Fréquentation et médiation / Plusieurs musées gérés par la Ville et la Métropole ont battu des records de fréquentation en 2024, certains pour la seconde année consécutive. Comment expliquer cette courbe vertueuse ?
Musée des Confluences, Lugdunum — musée et théâtres romains (gérés par la Métropole), Musée de l'imprimerie et de la communication graphique, musée d'Art contemporain (gérés par la Ville de Lyon)... Les musées publics Lyonnais ont battu leurs records de fréquentation en 2024, certains pour la seconde année consécutive. Des chiffres enthousiasmant pour des musées qui "modernisent" à grande vitesse leurs expositions, leurs programmations et leurs stratégies de médiation et d'accessibilité.
L'accessibilité comme maître mot
Au Musée des Confluences (qui vient de fêter ses dix ans), Pierre-Henri Alquier, directeur du développement culturel pointe en priorité l'offre gratuite : celle-ci inclut les jeunes, les demandeurs d'emploi, les bénéficiaires de minima sociaux ou de l'agrément IAE, les personnes en situation de handicap ou les détenteurs d'une carte partenaire comme Lyon City Card. « Cela représente la moitié de nos visiteurs, c'est un levier d'accessibilité essentiel pour tous », témoigne-t-il avant d'ajouter que « même notre tarif plein est relativement accessible, 12 euros pour accéder à toutes les expositions ainsi qu'au parcours permanent ». On note des politiques de gratuité et des gammes de prix similaires dans de nombreux musées de la métropole : 9 euros au musée d'Art contemporain, 8 euros à Gadagne et ses deux musées, 7 au Lugdunum — musée et théâtres romains (gratuit pour tous chaque premier dimanche du mois).

Également, la multiplication des événements rythmant le quotidien de ces musées (renouvellement régulier des expositions temporaires, concerts, visites nocturnes, dispositifs de médiation originaux...), « cela permet de séquencer l'année et de réactiver l'envie des visiteurs de venir ou de revenir. Cela devient presque un rendez-vous », détaille Pierre-Henri Alquier côté Musée des Confluences. On peut notamment évoquer le succès de la Biennale d'art contemporain (69 533 visiteurs en trois mois et demi) qui était en partie accueillie au Musée d'art contemporain, participant grandement au bond de fréquentation du musée.
Autre volet phare des stratégies des musées des collectivités de la métropole : celui de l'inclusivité. Gadagne et ses deux musées ont adapté la médiation aux troubles "dys", troubles du langage et des apprentissages. Le Musée des Beaux-arts vient de lancer des parcours en audio clair, adaptant au format audio les principes de la méthode d'écriture Facile à lire et à comprendre. À cela, il faut ajouter la multiplication des médiations et expositions pensées pour les enfants, notamment les très jeunes. « On essaye de créer des visites pour toute la famille, où tout le monde peut se sentir concerné. Pas seulement des parcours avec un coin enfant où ils doivent rester assis », conclut Pierre-Henri Alquier. À Gadagne et ses deux musées par exemple, « on a pensé une muséographie à 70 cm du sol dans le parcours permanent, comportant des jeux élaborés avec des ludologues », détaille Lucie Dragon Blanchard, responsable du service communication de Gadagne.
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De la pop culture et des jeunes
Cet essor de la fréquentation des musées lyonnais est aussi largement dû à certaines expositions, plébiscitées par le public. Les aventures de Brickius Maximus, exposition en briques Lego a par exemple accueilli près de 150 000 visiteurs à Lugdunum — musée et théâtres romains. « La vocation de cette exposition était d'attirer le plus grand nombre, notamment ceux qui n'ont pas l'habitude d'aller au musée », détaille Claire Iselin, directrice de l'institution. « C'est un très bon média, qui fonctionne bien, et qui permet de raconter ses récits riches », conclut-elle. Au Musée de l'imprimerie et de la communication graphique, l'exposition Le musée ambulant. Lectures de Miyazaki a grandement participé à doubler la fréquentation du musée. « Aller vers le pop, c'est aller vers les gens, cela n'empêche pas d'aller vers le scientifique, la création, d'essorer les images », a déclaré Joseph Belletante, directeur du musée qui reprend, « J'avais envie qu'on s'interroge ensemble, avec les visiteurs, sur ‘'à quoi sert un musée''. Dans cette exposition, Miyazaki et ses films étaient finalement peu présents, l'idée était de poser un regard critique sur leurs récits, de casser la puissance des images. On a rappelé que Miyazaki avait extorqué ses histoires à des femmes par exemple. »
D'après Joseph Belletante, ce sont les vingtenaires qui étaient les plus présents à l'exposition, « Il arrivait souvent qu'ils reviennent ensuite en amenant leurs parents », conclut-il. Au Musée des Confluences, Pierre-Henri Alquier met aussi en lien la fréquentation des jeunes (55 % de moins de 30 ans) avec certaines expositions : « Il y a certaines thématiques qui fonctionnent bien, comme celle de l'amour ou des rêves, car ce sont des approches que le visiteur peut rapidement s'approprier, c'est une bonne porte d'entrée vers de nombreux sujets. »
Samuel Coavoux est chercheur et sociologue, spécialiste des publics des arts et de la culture. Il a soutenu sa thèse en 2016, celle-ci portait sur les visiteurs de musées d'art, à travers l'étude de la réception d'un tableau de Nicolas Poussin au Musée des Beaux-arts de Lyon. Il replace la tendance des expositions aux thématiques dites populaires dans un contexte ancien : « Cela a commencé avec les expositions temporaires sur Picasso ou Toutankhamon il y a cinquante ans. Plus tard, ç'a été des artistes plus pop comme Damien Hirst ou Jeff Koons. » Des événements suscitant au sein des structures une tension entre le pôle de conservation et celui de médiation : « le premier, soucieux d'un travail de conservation, d'une rigueur scientifique ou d'une légitimité culturelle... et l'autre, d'ouvrir l'institution au maximum de personnes ».
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La forme au service du fond ?
Au-delà des thématiques choisies, les acteurs interrogés ont évoqué les enjeux de modernisation des expositions et de leurs médiations. Les visites doivent être plus dynamiques, la présence de jeux, d'écrans interactifs, de moments "d'expérience" où on peut toucher, graviter autour des objets par exemple... sont souvent jugés nécessaires pour « casser » le côté scolaire auquel certains parcours peuvent renvoyer.
Dans un article de Nectart datant de 2020, Sébastien Vaissière évoquait cette tendance, celle de la "gamification" des musées, désignant ainsi l'usage de mécanismes et de codes empruntés au jeu en général et au jeu vidéo en particulier dans des domaines qui leur sont normalement étrangers (entreprise, commerce, culture...). Un article dans lequel il évoquait l'inquiétude d' « un avenir dans lequel le jeu sera l'alpha et l'oméga de toute activité humaine ».
« On dit les mêmes choses qu'avant, mais mieux »
« Une exposition n'est pas un livre », tance Claire Iselin à l'évocation de cette inquiétude : « Il faut accepter la station debout donc il faut que ce soit un minimum stimulant. » La directrice évoque la baisse générale des capacités de concentration relevée par un certain nombre de recherches en neurosciences, qu'elle met en lien avec sa mission de service public : « Notre mission est d'apporter des connaissances au plus de personnes possibles, si on considère que ce public a moins de concentration qu'avant, on doit s'adapter. On a les retours de nos médiateurs culturels, qui nous disent qu'on ne peut plus parler de quelque chose de façon monotone pendant 45 minutes, car les gens décrochent. Ce qu'on fait aujourd'hui, ce n'est pas niveler par le bas ; c'est démocratiser : on dit les mêmes choses qu'avant, mais mieux. Le musée est en train de sortir de cette image d'institution réservée à une élite culturelle et c'est tant mieux. »
Joseph Belletante, directeur du Musée de l'imprimerie et de la communication graphique qualifie cette période de « hold-up », un moment charnière où les musées sont en train de remettre en question les pratiques institutionnalisées, pour devenir de véritables lieux « de plaisir, de liberté, où on ressent des émotions fortes ».
Un discours qui ne trouve cependant pas grâce auprès de tous les publics. Lucie Dragon Blanchard, responsable du service communication de Gadagne a évoqué des reproches faits au musée après l'ouverture de son nouveau parcours permanent, en 2023 : « Une grande partie de notre public est constitué de personnes âgées et de personnes de classes sociales favorisées. Ils regrettent qu'un certain nombre de pièces de nos collections aient été rangées au bénéfice de dispositifs plus modernes, plus aérés, où les objets sont mieux mis en valeur. C'est dur de contenter tout le monde, alors on va ressortir le lapidaire dans notre exposition temporaire à venir. Il faut trouver l'équilibre. »
Joseph Belletante évoque lui aussi le numéro d'équilibriste du programmateur : « On vient de lancer l'exposition JL Godard, le typographe à la caméra. Ainsi, ceux qui ont trouvé que l'exposition Miyazaki était trop "ouverte" y trouveront un focus plus serré. »
Une offre démultipliée
Samuel Coavoux, temporise les chiffres d'affluence des musées. Il replace cette augmentation de la fréquentation dans un contexte de développement du tourisme et de la démographie. Il ajoute que « d'après les grandes enquêtes sur les pratiques culturelles qui ont été réalisées de 1973 à 2018, la part des visiteurs de musées dans la population française est restée stable. En revanche, ce qu'on peut observer, c'est la démultiplication de l'offre, notamment des expositions temporaires : il est fort possible qu'il n'y ait pas beaucoup plus de personnes qui aillent au musée qu'avant, cependant les personnes reviendraient plus souvent, à chaque ouverture d'exposition temporaire pour les plus assidus. »
Doit-on donc s'attendre à une courbe exponentielle de la fréquentation des musées de la métropole dans les années à venir ? Risque-t-on la saturation, ou, au contraire, doit-on s'attendre à un retour à la "normale" ? Difficile à dire. Les acteurs des musées interrogés ne semblent en tout cas pas vouloir s'inscrire dans des dynamiques de performance, bien au contraire. Par exemple, pour Pierre-Henri Alquier du Musée des Confluences, il n'est pas envisageable d'accueillir beaucoup plus de visiteurs : « Au musée, on a besoin de vivre une expérience sans saturation, sans bruit. Si on vit sa visite comme un voyage en train à Noël, ça ne vaut pas le coup ».