Claire Iselin, directrice de Lugdunum « Une exposition doit être pensée pour le grand public, pas pour les experts »

Entretien / La fréquentation du musée Lugdunum de Lyon (musée et théâtres romains) a augmenté de 30, 5% en 2023. Claire Iselin en est la directrice depuis 2019. Elle explique cette affluence par des événements ponctuels comme la Coupe du Monde de Rugby, mais aussi la popularité de l'exposition « Spectaculaire! Le divertissement chez les Romains » ou Brickius Maximus, exposition en briques Lego, toujours d'actualité. Entretien sur les orientations du musée, desquelles témoignent cette hausse de la fréquentation.

Vous avez été directrice des musées de Compiègne pendant 9 ans, et avez travaillé 5 ans au département d'archéologie orientale du Louvre. Aviez-vous une appétence particulière pour les vestiges gallo-romains ?

Claire Iselin : Bien sûr, parce que qu'un musée gallo-romain, c'est aussi un musée d'histoire, de société. On raconte un récit qui se trouve dans le prolongement de l'école. Pas dans le sens contraignant de l'institution scolaire, mais plutôt à la convergence de la connaissance et de la convivialité. On va souvent au musée à plusieurs, comme à l'école. On y discute ensemble de ce qu'on voit, ce qu'on comprend et de comment on l'analyse.

Ce qu'il s'est passé il y a deux mille ans peut-être vu comme un miroir de notre actualité, qui nous aide à mettre à distance notre quotidien. On a tout à comparer : pratiques alimentaires, mécanismes du pouvoir, pratiques artistiques… Un musée est un outil de réflexion qui doit être offert à tous et toutes, c'est la raison pour laquelle je considère que nous répondons à une mission de service public.

Pour que cet outil soit offert à toutes et tous, il faut que les personnes se rendent au musée. Quelle est votre stratégie ?

Il y a d'abord tout ce qui est politiques tarifaires, le prix d'une place de musée ne doit pas être dissuasif. Avec la Métropole de Lyon, nous faisons le maximum pour que ce ne soit pas le cas, et il y a quelques jours dans l'année où l'accès au musée est gratuit pour tous, comme les Journées du Patrimoine.

On essaye de toucher le public le plus large possible, notamment en utilisant des médiums de la culture populaire. On avait organisé une exposition Playmobil il y a quelques années, là on a réussi à faire venir beaucoup de personnes avec l'exposition Brickius Maximus en Lego. Ce sont des leviers pour faire venir les publics qui n'ont pas l'habitude d'aller au musée.

Je m'inspire de la vision québecoise de l'institution muséale, qui diffère un peu de celle française. Le Québec a pensé sa muséologie nationale tardivement, dans les années 1960-1980. Ils ont exploré de nombreuses formules, ont interrogé la sociologie de leurs publics sans prétendre avoir de méthode idéale. 

La vision traditionnelle française est porteuse de traditions et d'une histoire très riche, très ancrée. Cependant, elle impose une transmission descendante. C'est bien, on ne peut pas nier l'expertise qui est celle du pays, mais il faut aussi prendre conscience du public auquel on s'adresse, ce qui les stimule et s'adapter.

On a besoin de travaux d'experts, que l'exposition soit juste. Mais il faut garder en tête qu'une exposition n'est pas réalisée pour les experts, mais pour un public varié. Au Lugdunum, nous nous sommes dotés d'un observatoire des publics. Une personne décortique les données visiteurs et mène des études qualitatives pour comprendre les attentes de nos publics. 

Passer la porte d'un musée est une chose, en ressortir avec des connaissances en est une autre. Comment toucher durablement tout le monde avec vos expositions ?

On ne peut pas être 100 % inclusif sur tous les projets, mais on cherche — au travers de nos différentes expos — à toucher tous les âges, toutes les classes sociales et aussi toutes les perceptions. 

Pour ce faire, nous faisons appel à six médiateurs spécialistes : un médiateur spécialiste des handicaps, un autre des publics âgés, un autre des scolaires… Cela nous a amenés à repenser certains modes de médiation. Par exemple, on essaye de développer plus de sensoriel, pour que les personnes porteuses de handicaps puissent, d'une autre façon, entrer en contact avec les expositions.

On a institué une méthodologie propre à nos expositions temporaires. Dans chaque équipe de conception, il y a une personne qui n'est pas experte du sujet. Cela permet d'avoir du recul, de poser les bonnes questions et de ne pas perdre de vue les objectifs de l'exposition.

Quels sont les objectifs qu'on peut définir dans une exposition ?

À chaque fois qu'on monte une exposition temporaire, je vais donner le thème et les idées clefs que devra retenir le public aux équipes en charge de la monter. En voici quelques-unes de l'exposition Brickius Maximus : La première, l'empire au second siècle est vaste et diversifié, il englobe de nombreuses cultures et territoires. La seconde, l'armée a un rôle important à jouer, les frontières sont perméables, car il y a beaucoup d'échanges économiques et culturels avec les nations voisines. Ensuite, les moyens de transport sont variés ; à pied, en char ou à cheval, les distances sont plus ou moins difficiles à parcourir pour les hommes et les femmes. Finalement, il y a le thème du fonctionnement de la ville, qu'on peut comparer avec une métropole de nos jours, où la proche ruralité est indissociable de l'urbain.

On va essayer de travailler ces notions en les investissant à plusieurs reprises dans une exposition, mais il ne faut pas que le public ait un sentiment de répétition, alors on rappelle ces notions en stimulant plusieurs sens. On a monté un petit laboratoire avec des chercheurs en neurosciences et d'autres en sciences de l'information et de la communication pour imaginer tous les moyens à notre disposition.

Dans cette même ligne, prévoyez-vous de revoir l'exposition permanente ?

Effectivement, cela fait partie de nos projets. Il faut qu'on arrive à rénover en prenant en compte l'âme et le projet architectural de Bernard Zehrfuss qui est indissociable du musée. Cependant l'exposition permanente témoigne d'une époque où on s'adressait à un public réduit. Par exemple, certains mots latins ne sont pas traduits. Ou encore, la hauteur des vitrines montre qu'on ne s'intéressait pas beaucoup aux enfants.

On veut continuer à faire graviter l'exposition autour d'objets, mais en utilisant comme fil conducteur la vie de six personnes à l'époque gallo-romaine. On imagine utiliser du mapping, varier les outils de compréhension autour de ces récits. Il va donc falloir faire des choix, qu'on sélectionne peut-être un peu plus les objets exposés, et qu'on accompagne plus les publics.

Ne risquez-vous pas de décevoir celles et ceux qui attendent du Lugdunum des expositions pointues, expertes ?

Chacune de nos expositions est accompagnée de compléments : un programme de conférences, des visites guidées thématiques ou des colloques qui, pour le coup, ciblent presque uniquement les passionnés et les experts. Une exposition à elle seule, doit être compréhensible par tous.

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