Il est beau, mon zombie !

Cinéma / Il fallait oser : une bande de cinéphiles déviants ont créé à Lyon le Festival international du zombie… Manière de rendre hommage à un sous-genre du cinéma d’horreur riche en tripes, mais aussi en subversion politique. Christophe Chabert

Non content d’apprendre, il y a à peine deux jours, la mort de votre grand-mère adorée, vous assistez médusés au moment de sa mise en bière à son retour à la vie, le teint plus verdâtre qu’un écran Commodore 64 et la chair plus flasque que celle de Carlos au sommet de sa carrière tropézienne. C’est comme ça : si le zombie est increvable (à part lui faire sauter la cervelle, ce qui est un paradoxe vu son état végétatif et l’instinct primaire qui l’anime — bouffer, point barre), son imagerie et sa mythologie le sont tout autant. Après son heure de gloire cinématographique à la fin des années 70, on croyait pourtant que les zombies avaient du plomb dans l’aile. Sur le tournage du Jour des morts-vivants (1986), l’expert es maquillages cradingues Tom Savini osait un pessimiste et prophétique «Je crois que le gore a fait son temps.» Après une quinzaine d’années plutôt aseptisées, celui-ci allait pourtant revenir en force, et le zombie, logiquement, avec lui.Zombie pride
7 juin 2008 à Lyon. Ce beau samedi, une horde de zombies défileront dans les rues, point d’orgue du premier Festival international du zombie, manifestation modeste mais en rupture avec les codes policés (et parfois policiers) en vigueur quand il s’agit de culture. Certains mauvais esprits diront : «Nuits sonores le samedi à 5 heures du mat’, c’est un peu le festival du zombie, aussi !». Peut-être, mais là, il s’agit d’une véritable "zombie pride", en pleine ville et en plein jour, réunissant des geeks de toute génération assouvissant un fantasme aussi légitime que de se faire attacher puis piétiner par une maîtresse SM : se recouvrir de maquillage putride et sanguinolent, pousser des râles d’agonie et marcher comme des handicapés physiques et mentaux.
Pas très politiquement correct, tout ça, n’est-ce pas ? Mais le cinéma de zombie lui-même n’a pas vocation à brosser le citoyen dans le sens du poil, et s’il se consomme plutôt bien une bière tiède et une pizza froide dans chaque main, il n’est pas interdit d’y voir une charge contestataire plus puissante que tous les textes d’Alain Finkielkraut réunis en un seul volume (et dont la lecture, pour le coup, peut vous zombifier à jamais). Un cinéaste y a même consacré la moitié de son œuvre : le génial George A. Romero. Et il n’a toujours pas rendu les armes : dans trois semaines, Diary of the dead réactivera sur les écrans son thème favori (lire encadré).Les métaphores du zombie
En 1968, Romero tourne son premier film, La Nuit des morts-vivants. Dans un 16 mm noir et blanc proche des bandes d’actualité de l’époque, avec une volonté de réalisme absolu et des comédiens loin du jeu stylisé habituel du cinéma d’horreur, le film fait son effet. L’Amérique est en plein conflit vietnamien, angoissée par la guerre froide et loin d’être pacifiée sur son territoire (les mouvements noirs réclament avec insistance et parfois violence l’égalité des droits civiques). C’est d’ailleurs un noir qui sera le héros de ce premier film ; il finira abattu comme un lapin par des militaires ayant vite fait l’équation : black solitaire = mort-vivant dangereux.
En 1978, Romero réalise une suite, Dawn of the dead, dont le titre français va droit au but : Zombie ! Cette fois, Romero choisit de s’intéresser à ses morts-vivants autant qu’aux derniers specimens humains cherchant à leur échapper. Reclus dans un centre commercial, les survivants voient déferler des morts qui ressemblent beaucoup à des clients de Carrefour un samedi après-midi. «Nous sommes tous des zombies» semble hurler le cinéaste dans cette œuvre particulièrement gore qui mit 5 ans à sortir en France (même Jack Lang, nouveau chancre de la liberté d’expression, freina avant de lever l’interdiction !).
Huit ans après, nouveau coup de maître : Le Jour des morts-vivants s’attaque cette fois-ci aux dérives des scientifiques qui transforment leurs objets d’études en déversoirs de leurs perversions macabres. Le zombie gagne en épaisseur, acquiert un semblant de raison, sort peu à peu de l’état de nature.
Dans le quatrième volet, le frustrant Land of the dead, non seulement le mort-vivant pense, mais il agit, mû par une conscience politique qui ressemble beaucoup à la conscience de classe décrite par Marx. Pendant que de riches profiteurs se construisent des tours luxueuses, la plèbe les regarde en souffrant. Plèbe qui, dans le film, est aussi la «classe moyenne» des humains luttant pour leur survie au quotidien dans des ghettos abandonnés.Actualité du zombie
La richesse de la métaphore est telle qu’on peut la décliner à l’infini, ce que ne manqueront pas de faire d’autres cinéastes de talent : Joe Dante dans Vote ou crève (son segment de la série Masters of horror) montre les soldats tués en Irak revenir à la vie le temps de voter contre celui qui les a trahis, George W. Bush ! Fresnadillo dans 28 semaines plus tard fait du zombie l’incarnation d’un œdipe mal réglé, et propose la plus brutale des façons de «tuer le père». Dans Rec, les zombies sont le produit des superstitions d’une Église rétrograde et effrayée par la différence. Bien sûr, le panorama ne serait pas honnête si on ne signalait pas aussi les succédanés commerciaux que nos voisins italiens ont tourné à la chaîne pendant près de vingt ans. Au mieux, cela donne Lucio Fulci (dont l’impressionnant L’Au-delà sera projeté au festival) ; au pire, on a droit à du Bruno Mattei, plus grand mauvais cinéaste du monde qui, à quelques mois de casser sa pipe, filmait encore du zombie de pacotille dans des terrains vagues et des labos désaffectés ! Ce Festival international du zombie cherchera donc à montrer toutes les facettes de ce sous-genre, du potache au subversif. Et rappellera incidemment que dans un monde obsédé par l’idée de rester en vie, se moquer de la mort est peut-être la chose la plus dérangeante qui soit !Festival international du zombieDu 5 au 7 juinhttp://festizombie.free.fr

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Jeudi 29 mai 2008 Entretien / Julien Pouget, président du Festival International du Zombie. Propos recueillis par Christophe Chabert

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