«Des vibrations, des intensités, de l'électricité»

Entretien / Stéphane Guénier expose ses dessins et ses toiles dans le nouveau local de la galerie Henri Chartier. L'artiste revient sur son parcours, sa passion pour Artaud et son approche de la peinture. Peinture que l'on saurait trop vous conseiller de découvrir. Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave

Petit Bulletin : Quelle ont-été votre formation, votre parcours ?
Stéphane Guénier : J'ai suivi les cours de dessins sur des modèles vivants de Pierre Lohner dans une école d'arts graphiques. Parallèlement, j'ai suivi l'enseignement du peintre Vladimir Velickovic en tant qu'élève invité à l'École des Beaux-Arts de Paris. À vingt ans, j'allais aussi beaucoup aux Musées du Louvre et Rodin pour dessiner d'après des œuvres de grands maîtres comme Léonard de Vinci, Michel Ange... Ma rencontre avec Velickovic a été déterminante, c'est quelqu'un que j'admirais beaucoup. Je lui montrais mon travail qui tournait autour du corps. J'ai été très influencé par le parcours de Velickovic, son travail et ses sujets de préoccupation que je partageais alors.Comment êtes-vous passé de la figuration à un travail plus abstrait ?
Je suis parti d'une figuration tourmentée et expressionniste, torturée presque, même si je n'aime pas beaucoup ces termes. J'étais très sensible à la force du dessin et du trait que je pouvais retrouver aussi bien chez Bacon, Picasso que Léonard de Vinci. Ensuite, j'ai effectué un grand effort pour sortir de cela, pour casser les formes, pour aller contre certaines facilités et mécanismes. Car même les expressionnistes ont leurs procédés : le pathos obligatoire, les gueules qui toujours hurlent sur les toiles, etc. Petit à petit, je me suis intéressé aussi à la violence que l'on peut voir dans une simple pomme de Cézanne ou dans un paysage de Monnet... Le passage à l'abstraction a été très lent et, même lors de ma dernière exposition à Lyon en 2009, le dessin restait très lisible. Aujourd'hui, après un travail de déconstruction et de décomposition, je parviens à dire les choses sans les montrer. La forme s'ouvre, se dégage, et il ne reste plus que des tensions, des résonances, des vibrations, des intensités, de l'électricité. Je vais vers des préoccupations intérieures qui peuvent relever de la quête du spirituel (non religieux bien sûr). L'ennemi pour moi c'est le formalisme, la belle toile esthétisante faite de procédés où le sacré et le nerf ne seraient pas là.Le nerf fait penser à Artaud qui est très important pour vous ?
C'est effectivement un auteur majeur. J'ai lu tous ses textes et, si je n'apprécie pas trop sa poésie, son théâtre et ses premiers dessins, je reviens souvent à "Van Gogh le suicidé de la société", à "Héliogabale", au "Théâtre de la cruauté", à ses derniers dessins de Rodez... J'y ressens une authenticité absolue, une intégrité. Artaud dit avoir fouillé pour aller «aux bruissements harmoniques internes». Il écrit aussi dans "Le Théâtre et son double" : «Et s'il est encore quelque chose d'infernal et de véritablement maudit, c'est de s'attarder artistiquement sur des formes, au lieu d'être comme des suppliciés que l'on brûle et qui font des signes sur leurs bûchers» !Votre bûcher demeure le papier et la toile ?
Oui, je me bats dans un rectangle assez standard et banal, existant depuis des centaines d'années, qui me permet de me concentrer sur l'essentiel. J'ai fait un peu de gravure, mais je n'ai jamais été attiré par la photographie, la vidéo, l'installation... Mais je n'ai rien contre ces médiums.Et quel est votre rapport aux autres artistes contemporains, aux expositions actuelles ?
Je ne suis pas un consommateur d'expositions, je ne suis pas avide des grandes messes obligatoires, de la foule, de l'excitation autour de l'événement Basquiat par exemple (qui est pourtant un artiste que j'apprécie). La dernière exposition qui m'a marqué est celle de Joan Mitchell à Giverny. Je me sens inscrit dans mon époque et je ne tiens pas un discours traditionaliste ou anti-art contemporain, mais je travaille plutôt en solitaire, avec des périodes où j'évite l'influence de toute image extérieure. Baselitz, Twombly sont des références qui me viennent spontanément à l'esprit, même si je n'aime pas tout chez ces artistes. C'est banal de le rappeler, mais nous sommes quand même dans une époque de surconsommation de l'image, et les expositions elles aussi se retrouvent noyées dans cette «surexposition». Je ne rejette pas en bloc l'art contemporain, la vidéo ou autre. En revanche, parmi les peintres contemporains, je suis prêt à hurler contre les «faiseurs», les «poseurs». Biographie de Stéphane Guénier
1970 : Naissance à Paris où l'artiste vit et travaille.
1990-1993 : Stéphane Guénier suit les cours de modèles vivants de Pierre Lohner à l'EMSAT (École Municipale Supérieure des arts et techniques de Paris). Élève invité à l'atelier de Vladimir Velickovic à l'École des Beaux-Arts de Paris.
1991 : Première exposition collective à l'académie des beaux-arts de Paris.
1993 : Première exposition personnelle à la galerie Dmochowski à Paris.
2004 : Participation aux décors de «entropie-les démoniaques dans l'art» avec la compagnie de danse Post Data à la Maison de la Villette à Paris.
2009 : Première exposition à Lyon dans le cadre d'un accrochage collectif à la galerie Henri Chartier.
2010 : Première exposition personnelle à Lyon. Inaugure le nouveau et très beau local d'exposition d'Henri Chartier au 35 rue Leynaud (Lyon 1er). Stéphane Guénier
À la galerie Henri Chartier, 35 rue Leynaud Lyon 1erJusqu'au samedi 8 janvier
Parution d'un catalogue «Stéphane Guénier, peintures et dessins octobre 2009-mars 2010», éditions Chartier

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