Le fou et le lucide au quotidien

Par Dorotée Aznar
Publié Mercredi 14 mai 2008

Théâtre / Il y a bien des choses qui sont là mais qu’on ne regarde pas. Des choses que parfois on est le seul à entendre. Et, si par hasard, on ouvre les yeux pour s’approcher de cette frontière très floue qui limite (et unit) la raison et la folie dans le monde moderne, il est bien possible que l’on se trouve devant «une aventure bien étrange». «Deuil», création théâtrale d’après Le Journal d’un fou de Nicolas Gogol, est une invitation à participer dans cette aventure, étrange, certes, mais aussi très profonde et très belle. L’univers que les trois personnages de cette pièce redécouvrent à leur tour est celui où un bureaucrate peut se réveiller du jour au lendemain Roi d’Espagne, ou encore, un monde où tous sont persuadés que les chiens parlent mais où l’on trouve surprenant qu’ils sachent écrire. L’adaptation de cette nouvelle, encore très actuelle, s’avère pertinente car elle suggère avec beaucoup de liberté, et aussi avec des silences très fins, que la réalité du monde dans lequel nous vivons est maintes fois plus extravagante que la fiction. En effet, il est moins choquant que le bureaucrate de la pièce se prenne pour Ferdinand VIII qu’un riche ivrogne de Texas se réveille un beau jour d’été en étant devenu l’homme le plus puissant du monde. Et des exemples de ce type il y en plein. À travers des petites anecdotes qui veulent susciter l’étonnement chez le spectateur, on se retrouve en face d’une contemporanéité tragi-comique qui rend compte de notre quotidien. Le sujet peut être cru, mais cette pièce a l’extraordinaire capacité de nous raconter une histoire compliquée en nous faisant pouffer de rire. Ce n’est pas tout à fait la «beauté tragique» qu’a évoqué Baudelaire, mais c’est beaucoup plus la justesse avec laquelle la dérision, un profond éclat de rire, parfois, nous fait beaucoup plus réfléchir sur ce monde insaisissable, qu’un fleuve de larmes. Nicolás Rodríguez Galvis

Deuil À l’Espace 44 Du 13 au 18 mai