Polar ou du cochon ?

Mercredi 14 février 2007

Le prix Jacques Deray du meilleur polar français de l'année va être remis à «Ne le dis à personne» de Guillaume Canet... L'occasion de faire le diagnostic d'un genre en crise.CC

Photo : Ne le dis à personne

On râlait (mais ne râle-t-on pas toujours un peu ?) il y a quelques années sur l'absence de cinéma de genre en France... Aujourd'hui, alors qu'il fait un retour en force sur les écrans, on en vient presque à regretter les films d'auteur en chambre ! Car on constate un manque de sincérité évident et, pire, une certaine méconnaissance des codes en vigueur quand il s'agit de tourner un polar. Les sources du problème sont nombreuses : d'abord, le polar a, en librairies et à la télé, le vent en poupe. De là, les producteurs ont dû se dire qu'ils avaient trouvé la poule aux œufs d'or ! Mais entre l'imitation des grands modèles américains (en tête, Michael Mann, David Fincher et Martin Scorsese) et le désir de s'inscrire dans un territoire plus français, les cinéastes ont souvent le cul entre deux chaises.Flics et fucksPar exemple, le traitement du «flic» semble être un casse-tête sans fin. Seul Xavier Beauvois, l'an dernier, dans Le Petit Lieutenant avait résolu l'affaire en optant pour une approche presque documentaire et une immersion complète dans le monde de la police (comme Tavernier avant lui dans L627). Sinon, on a droit à des flics oscillant entre un Commissaire Navarro nerveux (Berléand dans Ne le dis à personne) et des pures figures de convention déconnectées de toute réalité politico-sociale (José Garcia dans Pars vite et reviens tard). Pas qu'on aimerait les voir parler de Sarko à la machine à café, mais quand même, ça serait déjà plus réaliste ! Pareil pour les dialogues : le «fuck» étant le vocable basique du personnage de polar US, on voit ainsi apparaître en France des films où les personnages semblent vouloir battre le record de jurons en un minimum de pellicule, jusqu'au grotesque (Truands). Quant aux «méchants», ils sont souvent des répliques fantasmatiques et affadies de leurs modèles outre-atlantique (Clovis Cornillac dans Le Serpent refaisant le numéro de De Niro dans Les Nerfs à vif). Enfin, le polar français manque d'humour, comme si on ne pouvait pas tourner des histoires glauques et prenantes sans tomber dans le psychorigide (c'est le reproche que l'on peut faire à 36 quai des orfèvres). Pas de fatalisme cependant ! Un contre-exemple pour le prouver : Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief, qui s'inspire lui aussi de ses maîtres américains (Taxi Driver, Tarantino), mais explore un monde crédible (les convoyeurs de fond) en soignant une mise en scène avant tout visuelle. Enfin, le retour au polar d'Alain Corneau pour le remake d'un des meilleurs films du «boss» Melville, Le Deuxième souffle, rappelle opportunément que Corneau a été, il y a plus de vingt ans, un orfèvre en la matière, notamment dans ce chef-d'œuvre qu'est Série noire, parfaite transposition française d'un matériau américain (roman de Jim Thompson, influence revendiquée de Mean Streets). Sera-t-il le sauveur du polar français cette année ?Prix Jacques DerayÀ l'Institut LumièreSamedi 10 février à 19h