Splendeurs en lambeaux

Mercredi 13 septembre 2006

L'Institut Lumière organiste une rétrospective autour d'un des grands cinéastes modernes italiens, Luchino Visconti, l'occasion de redécouvrir une œuvre souvent réduite à ses films les plus spectaculaires.CC

Il est parfois bon de partir des images les plus célèbres d'un cinéaste pour remonter le courant de son œuvre et en découvrir la vérité : la plage de Venise sur laquelle agonise Dirk Bogarde dans Mort à Venise, le bal gigantesque du Guépard, l'opéra de Venise de Senso...Images d'une aristocratie crépusculaire, terrain privilégié par Visconti pour y placer ses histoires, ou aller chercher celles des autres.Faste visuelLe cinéma de Visconti s'appuie ainsi sur une beauté absolue des décors, des costumes ; un cinéma fasciné par les cérémonies et les rituels. Pourtant, au cœur de cette majesté décorative, c'est toujours vers un noyau intime nettement moins glorieux que le récit se déplie : Mort à Venise est une histoire d'amour balayée par le choléra qui vient vicier l'air ; Le Guépard ne déploie son faste aristocratique que pour prendre acte de son déclin ; Les Damnés se présente comme une fresque sur l'Allemagne au temps du nazisme, mais ne quitte pratiquement jamais la grande famille de nobliaux compromis qui lui sert de guide narratif. Derrière la somptuosité immaculée des images, quelque chose gangrène le récit, les personnages, la matière romanesque. Le sommet de cette démarche viscontienne se trouve dans Ludwig (présenté dans sa version intégrale de 4h10 à l'Institut Lumière), où la puissance du Roi Louis II de Bavière accélère son basculement inéluctable dans la folie. Réalisme aristocratiqueSi Visconti est devenu le cinéaste de l'aristocratie, c'est par une réduction hâtive de son œuvre à la dernière partie de sa filmographie (même si, dès Senso, il montre déjà son attirance pour ce monde-là). Le cinéaste commence pourtant sa carrière en pleine vague néo-réaliste, à laquelle il sera associé par la grâce d'un seul film, La Terre tremble, dont les partis pris de mise en scène et le contexte de l'action (les pêcheurs siciliens) rappellent effectivement certains films de Rossellini. Auparavant, c'est pourtant un film noir qui l'avait vu débuté comme réalisateur, Ossessione, libre adaptation du Facteur sonne toujours deux fois. Il synthétisera les deux dans son classique Rocco et ses frères : misère sociale, réalisme de la mise en scène et noirceur du propos fusionnent dans un des sommets de son œuvre (qui lancera la carrière d'Alain Delon, que Visconti "découvre" à tous les sens du terme). Mais, loin de virer au baroque après ce film, l'œuvre de Visconti gardera ce souci de "réalisme", en privilégiant cependant le passé sur le présent : ses reconstitutions historiques sont ainsi marquées par un souci de précision et d'exactitude qui feront l'admiration de beaucoup de cinéastes, de Cimino dans La Porte du Paradis (dont la dernière scène cite explicitement Le Guépard) à Scorsese dans Le Temps de l'innocence (vibrant et vivant hommage au cinéma de Visconti).Rétrospective Luchino ViscontiÀ l'Institut LumièreJusqu'au 24 octobre.