Courts, noirs et sans sucre

Mercredi 21 novembre 2007

Zoom / Le 28e festival du film court de Villeurbanne marque un net regain d'intérêt de sa compétition francophone, avec deux mots d'ordre partagés par la majorité des films : radicalité formelle et désir de déranger.Christophe Chabert

L'an dernier, en réduisant sa compétition francophone à quatre programmes et en exposant un peu plus sa compétition européenne, le Festival du film court de Villeurbanne amorçait un virage décisif. Étrangement, cette année, c'est bien cette même sélection francophone qui donne envie de réaffirmer la qualité et la singularité de Villeurbanne : certes, le reste de la manifestation (la longue nuit du film court, la carte blanche expérimentale ou la séance consacrée au court en Rhône-Alpes) n'est pas négligeable. Mais la vingtaine de films en lice pour le palmarès, colonne vertébrale du festival, mérite vraiment de retrouver toute l'attention des spectateurs.Sérieusement dérangésEn même temps, c'est le paradoxe, cette cuvée n'est pas des plus faciles à boire. Les œuvres présentées rivalisent de radicalité, de froideur et d'inquiétudes, revenant avec obstination vers le triangle maladie-vieillesse-mort. Peu de dialogues, des plans calculés au micromètre, une lumière métallique qui souligne des chairs blêmes, des bandes-sons rivalisant en infrabasses lourdes et menaçantes... Ça ne rigole pas des masses, et ce n'est pas l'apanage de la France : les deux films belges, particulièrement arides et arty (Mur et Les Corps silencieux) et un film canadien glacial (Les Jours) montrent que ce mouvement d'humeur noire déborde les frontières hexagonales. Cette règle a bien sûr des exceptions et certaines sont brillantes : Premier voyage de Grégoire Sivan est un formidable film d'animation sur les atermoiements d'un trentenaire (avec la voix irrésistible de Jean-Paul Rouve) qui prend le train pour la première fois avec sa petite fille ; Le Mozart des pickpockets de Philippe Pollet-Villard est une fable joliment amorale et bourrée de sous-entendus assez délicieux sur deux escrocs qui se retrouvent par hasard avec un gamin mutique sur les bras. Ce dernier fait d'ailleurs le trait d'union avec l'autre tendance de cette compétition : un désir de déranger le spectateur par la provocation et l'étrangeté. Dérangeant en effet, ce parallèle assez gonflé entre la prothèse d'un père unijambiste et le gode-ceinture de sa fille lesbienne (Tel père, telle fille de Sylvie Ballyot, particulièrement auteurisant par ailleurs) ; dérangeant aussi, cet ouvrier des abattoirs qui, après un accident, se retrouve mutilé de la main, et développe des pulsions morbides et suicidaires au sein de son couple (l'intéressant Abattoir de Didier Blasco) ; dérangeant encore, cet enfant qui, au milieu d'une inquiétante campagne française, semble entretenir une relation magique avec son environnement, naturel et humain (le très maîtrisé L'Enfant borne de Pascal Mieszala) ; dérangeant enfin, l'étonnant Dans leur peau d'Arnaud Malherbe... Un livreur (Fred Testot d'Omar et Fred) se retrouve avec le cadavre d'un costard-cravate sur les bras, et décide de prendre sa place au sein de son entreprise de boursicoteurs. Surprise : personne ne s'en aperçoit, malgré l'absence criante de ressemblance physique entre l'un et l'autre. Malherbe développe une idée passionnante : les codes du libéralisme sont faciles à apprendre et à singer, entraînant un formatage terrifiant des individus. Dommage que le film choisisse ensuite à la fois de rationaliser son propos et de le pousser dans un excès absurde, perdant en définitive sur les deux tableaux.Pour de vrai... ment bienDe tous les films présentés, il y en a deux qui se détachent avec éclat : le remarquable La Promenade de Marina de Van (lire encadré) et surtout le fulgurant Pour de vrai de Blandine Lenoir. Lenoir n'en est pas à son coup d'essai, loin de là (elle a déjà une solide filmographie derrière elle) ; mais son nouveau film est un coup de maître... En un seul plan séquence virtuose de 12 minutes, on passe des larmes au rire, de l'illusion du vrai à la réalité de l'artifice, de la sensation esthétique à sa fabrication. Pour de vrai est une célébration de la création et de l'art dans ce qu'il a de plus noble : art de la musique (signée par l'excellent Bertrand Belin) ou art du jeu, celui de Nanou Garcia, actrice magnifique et magnifiée. Allez, tiens, on lui décerne notre Grand Prix !