Le festival du court sous les avalanches

La 38e édition du festival du film court en plein air de Grenoble confirme les tendances de l'an dernier, du moins concernant une compétition qui, malgré la profusion de l'offre (3000 films vus), manque clairement de diversité. On en a tiré une sélection de films intrigants, pertinents et percutants.Christophe Chabert

Ce fut la surprise de la 37e édition : le Grand prix du festival du film court en plein air de Grenoble a été remis au Skate moderne, pastiche drôle et bien vu de La Vie moderne de Depardon avec des skaters à la place des paysans, damant le pion à une multitude de films engagés et souvent trop sérieux. Derrière ce prix, un symbole : ses auteurs ne venaient pas d'une école de cinéma et leur film n'avait pas été produit dans les clous classiques du circuit court (métrage) ; c'était une vidéo commandée par Dailymotion, le genre de choses qui circulent longuement sur internet à la faveur des buzz et des partages viraux.

Cela dit quelque chose du challenge qu'affrontent les festivals de courts-métrages : une profusion de films inscrits, venus de partout dans le monde, où les productions les plus sauvages côtoient des montages financiers traditionnels (en France : CNC, régions, fonds nationaux d'aide...). Grenoble affiche cette année le chiffre record de 3000 films proposés au comité de sélection, et l'affaire est suffisamment grave pour que le festival lui consacre une table ronde le 8 juillet intitulée : "Avalanche de courts-métrages sur les festivals. L'enjeu ?" L'intégrité d'une programmation et d'une compétition face à une telle déferlante.

Inquiétudes

Que faire, comme disait Lénine ? Grenoble a choisi sa voie depuis deux éditions : d'un côté, un cinéma politique et social où le sujet et le message priment sur l'innovation esthétique ; de l'autre, une ouverture claire et nette vers le documentaire et l'animation. Soit à la fois un tour du monde des problèmes contemporains (au sommaire : crise économique, conflit israélo-palestinien, féminisme, racisme, banlieues, libéralisme tout puissant, problèmes identitaires, génocides, guerres civiles, exils...) et des respirations nécessaires oscillant entre l'anecdotique et l'exercice de style. Le recul de la forme classique du court (le film de fiction en prises de vues réelles) est notable ; mais, même quand des cinéastes s'y aventurent, la béquille du réalisme n'est jamais loin, et il est frappant de voir à quel point ils cherchent à en tirer des leçons rassurantes pour le spectateur...

Un film en provenance de Suisse parvient à éviter tout cela, alors qu'il semble au contraire charger méchamment la barque : Discipline (projection le jeudi) montre comment un banal incident dans une épicerie (un père gifle sa fille) va exacerber toutes les tensions ethniques, sociales et culturelles jusqu'à provoquer un grand chaos que le réalisateur, Christophe M. Saber, traite sur le ton de la farce grinçante. On rit, certes, mais plutôt jaune, tant le film suggère que ce microcosme-là figure la cocotte-minute sur laquelle l'Europe repose, prête à exploser pour un oui ou un non mal placé.

Une autre réussite de cette sélection, Samsung Galaxy de Romain Champalaune (le mardi), livre un constat glaçant : comment une entreprise, Samsung, peut devenir tentaculaire au point de décider de la vie, des loisirs et de l'intimité des citoyens d'un pays tout entier, la Corée du Sud, au prix d'un recul des libertés publiques. L'intelligence du film, c'est d'adopter une forme radicale (des photos et une voix-off) qui elle-même semble avoir été créée avec le Samsung Galaxy, comme une fausse pub subversive qui se retournerait contre son commanditaire.

Les derniers des Mohicans

Deux films parviennent quant à eux à se tenir à équidistance du cinéma sociétal et de la fiction stylisée : Don Miguel de l'Espagnol Kote Camacho (le samedi) qui, à partir d'un très poétique procédé de rotoscopie en noir et blanc, raconte la revanche des créditeurs sur les banquiers sans scrupule, et Mademoiselle (le samedi), premier court de l'acteur Guillaume Gouix qui, démarré sur des bases attendues (le machisme ordinaire d'une drague insistante en boîte de nuit) bascule peu à peu dans une réflexion mélancolique sur le moment où il faut assumer son âge et le fait d'être moins immédiatement désirable – un rôle borderline que la formidable Céline Sallette endosse à la perfection.

En fin de compte, les quelques œuvres qui optent clairement pour la fantaisie et l'imaginaire font figure de derniers des Mohicans dans la compétition, et c'est peut-être pour cela qu'ils tirent leur épingle du jeu. Ainsi, Bigpanic de Maurice Huvelin (le mercredi) est un film d'animation aussi bref qu'intensément inventif, dont le minimalisme (un seul plan, dans lequel s'ébroue quantité de petits personnages fortement teintés de retrogaming et d'esthétique 8Bit) fait du bien face à la sophistication confuse d'autres propositions animées.

Territoire de Vincent Paronnaud (le vendredi), lui aussi, fait du bien par où il passe. Paronnaud n'est pas un débutant : dessinateur de BD sous le nom de Winshluss, co-réalisateur de Persépolis et Poulet aux prunes et auteur d'un film d'une heure complètement barré (Villemolle 81), il fait rentrer ici de la rigueur dans sa folie – et pas l'inverse. En 1957 dans les Pyrénées, un berger solitaire pense que ses brebis sont victimes d'une attaque de loups. En fait, c'est à un tout autre genre de bêtes qu'il va se mesurer : des militaires drogués à une sorte de LSD les transformant en animaux enragés. Passant de l'angoisse au gore, de la menace sourde au survival violent, Territoire contourne systématiquement les écueils du genre à la française : peu de dialogues (le berger siffle pour se faire comprendre), un ancrage politique et historique jamais volontariste et un sens de l'efficacité qui fait mouche. Malgré son évident manque de moyens, le film a de la gueule et de la maîtrise, et prépare sans doute le passage au long en solo de son auteur – qu'on attend avec curiosité.

Festival du film court en plein air
Salle Juliet Berto et Place Saint-André, du 7 au 11 juillet

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