Le grand retour de Kathryn Bigelow derrière la caméra permet un regard aussi inédit que pertinent sur le conflit irakien, tout en faisant preuve d'une tension cinématographique constante. François Cau
Le film démarre en plein cœur de l'action : la tête la plus connue du casting (Guy Pearce) enfile sa combinaison de démineur, enchaîne quelques boutades viriles, avant qu'une explosion ne l'emporte, et avec lui le processus d'identification d'un spectateur dérouté. Le stratagème narratif a déjà été utilisé maintes fois (et notamment par ce grand couillon de Renny Harlin, qui l'a découvert il y a peu avec un enthousiasme puéril), mais rarement avec une telle force visuelle. Une fois le choc digéré, Kathryn Bigelow peut apaiser sa mise en scène et introduire son héros, le Sergent Adams (Jeremy Renner, enfin dans un rôle à la hauteur de son talent). Un farouche individualiste, accro à l'adrénaline, forcé de composer entre ses impulsions quasi suicidaires et ses responsabilités de gradé. La caméra tressautante le suivra pour ne quasiment plus le lâcher, le conflit devenant progressivement une toile de fond abstraite, avec ses ennemis invisibles, sa sourde paranoïa du moindre geste, ses décors naturels étouffants. Des partis pris qui prennent bien évidemment toute leur ampleur pendant de tétanisantes scènes d'action, mais également, et c'est là tout le mérite et le propos du film, pendant les moments de latence.
Aux frontières de l'aube
A priori, on pourrait croire que Kathryn Bigelow récite son bréviaire des lieux communs indécrottables du film sis pendant le conflit irakien : responsabilité individuelle en opposition avec le collectif, ingérence malvenue, incompréhension, frustration, absurdité, et on en passe. Sauf qu'ici, le traitement cinématographique à hauteur d'homme fait toute la différence. En choisissant de se canaliser sur l'évolution psychologique du Sergent Adams avec une logique effroyable, la réalisatrice parvient à faire passer son propos avec subtilité. Point d'éveil de conscience, de moralisation ou de point de vue politique sacerdotal, juste un saisissant rappel de la réalité du terrain, où le moindre sursaut d'humanité (superbes scènes de fraternisation avec un gosse des rues) est voué à l'échec. À ce titre, la conclusion du film, on ne peut plus glaçante, parvient, dans son absence de commentaires, à être infiniment plus parlante que bon nombre d'opus didactiques ayant tenté d'aborder le même sujet. Après des années d'errance artistique, Kathryn Bigelow nous offre ni plus ni moins qu'une leçon de mise en scène, tout en finesse et en suggestions.
Démineurs
De Kathryn Bigelow (ÉU, 2h04) avec Jeremy Renner, Anthony Mackie...