Mardi 18 septembre 2012 Eric Cantona, l'ex-footballeur de Manchester United devenu acteur, qui fut dirigé par Ken Loach pour Looking for Eric (projeté au cours de cette soirée), a (...)
Photo : © collection Institut Lumière Photo JL Mège
Des salles remplies, des films rares, des invités prestigieux : l'Institut Lumière a pleinement réussi ses premières Rencontres sport, cinéma et littérature. Retour sur cette manifestation qui s'est tenue du 16 au 19 mars et sera reconduite en janvier prochain. Nadja Pobel
Eddy Merckx déambule. "Le Cannibale", venu à Lyon pour ouvrir ces rencontres Sport, cinéma et littérature, connait probablement par cœur les magnifiques clichés en noir et banc de L'Equipe exposés dans la galerie de l'Institut Lumière (et visibles jusqu'au 19 avril), et qui racontent pour certains d'entre eux ce qui a forgé sa légende et assis son immense célébrité. Il faut voir quelques minutes plus tard à quel point les yeux de certains spectateurs s'allument en le voyant arriver dans ce hangar du Premier Film qui vit naître le cinéma. Un tiers des spectateurs ce soir-là, comme durant le reste du week-end et bien que lyonnais pour la plupart, n'était jamais venus ici.
C'est dire si cette manifestation a bousculé les habitudes, ce nouveau public s'étant souvent retrouvé à truster les marches de la salle. Le film de Joël Santoni, La Course en tête, n'est pourtant pas facilement abordable, lui qui retrace sur fond de musique médiévale et sans commentaire l'année 73 du champion, ses entraînements, ses babillages avec ses enfants, ses victoires (au Giro et à la Vuelta mais pas au Tour, sur lequel il fit l'impasse)... Lesquelles émeuvent toujours le Grand Eddy, 68 ans, qui depuis sillonne encore les routes de cyclisme tout au long de l'année et signe, comme ce week-end à Lumière, des autographes à tour de bras.
La tête et les jambes
Au-delà des films, ces quatre jours ont été ponctués par un colloque assez généraliste, qui a pausé les bases de la manifestation. Dans la salle de cinéma du château Lumière, il fut question de littérature – ou plutôt d'écriture au sens large – en matinée, puis d'images et enfin, plus spécifiquement, de cinéma. Sans notes, Thierry Frémeaux a animé ces cinq heures de discussion avec passion et curiosité, jonglant entre des invités qui eux aussi connaissent leurs sujets sur le bout des doigts.
Benoit Heimermann, grand reporter à L'Equipe et co-organisateur avec Frémeaux de ces rencontres, a d'abord introduit le propos en rappelant que "sport et littérature" n'était pas un genre en tant que tel («le sport est souvent un prétexte, il n'est pas fondamental dans le récit») et en faisant un distingo entre les Français et les Anglo-saxons - chez les seconds, il n'existe par exemple pas de presse quotidienne sportive, le sujet étant au coeur de toutes les autres parutions, a-t-il expliqué, avant d'ajouter que «l'expression "la tête et les jambes" est typiquement française».
Dès les années 20 et notamment autour des JO de 1924 à Paris, des écrivains comme Cocteau ou Giraudeau s'intéressent au sport et y consacrent des articles. Cette même année, le grand reporter Albert Londres suit le Tour de France, signant une expression qui fera date pour dire la difficulté quasi-inhumaine de la course : «les forçats de la route». Les années 50 et 60 marquent ensuite, selon Heimermann, un divorce entre les auteurs et le sport, à l'exception en France d'Albert Camus, qui dit devoir au sport tout ce qu'il connait de la camaraderie. En revanche, aux Etats-Unis, Steinbeck, Hemingway rédigent de grands articles dans la revue Sport Illustrated. La réconciliation dans l'Hexagone passe par le polar dans les années 80 et des écrivains comme Didier Daeninckx ou Jean-Bernard Pouy. Le sport n'est alors plus vu uniquement par le prisme du héros. Il y a des bons mais aussi des méchants et ces antagonismes sont matière à littérature. Aujourd'hui, de nombreux romans, dans des éditions aussi prestigieuses que Minuit, traitent de sport. Jean Echenoz, notamment, a consacré Emil Zatopek dans Courir (il hésitait entre Fangio et le coureur de fond), Paul Fournel, Eric Fottorino (tous deux présents à ces rencontres) ou encore Lola Lafon avec La Petite Communiste qui ne souriait jamais (Nadia Comaneci) faisant également du sport un objet de très bonne littérature.
Vincent Duluc pour L'Equipe, Brieu Frérot pour So foot et Adrien Bosc pour Desports, prestigieuse revue, sont également venus expliquer comment, dans leurs supports, ils associent journalistes et écrivains de sport.
Concernant le cinéma, l'historien Gérard Camy a dressé une liste non exhaustive des films sportifs qui a trouvé son prolongement naturel dans la programmation, à commencer par des documentaires tel celui produit (et présenté) par Eric Cantona. La star de Manchester United avait fait le déplacement à Lyon au lendemain de son altercation à Londres avec un paparazzi pour défendre le premier volet de ce film (le deuxième est en préparation) en l'honneur des footballeurs qui ont été amenés à jouer un rôle politique comme Drogba, Socrates, ou Mekloufi. Les valeurs du foot ? «La beauté du jeu, la solidarité et le plaisir de jouer du Barça, de MU jusqu'il y a peu» a-t-il énoncé, refusant au passage d'être lui-même considéré comme un rebelle et évoquant Ken Loach, qui l'avait filmé pour Looking for Eric, comme l'une des plus belles personnes qu'il ait rencontré. Le visage du King s'est pareillement éclairé lorsque nous lui avons parlé de théâtre et plus particulièrement de Dan Jemmett, qui l'avait mis en scène dans Ubu enchaîné et avec qui, coïncidence, il était justement au téléphone avant de venir à cette conférence de presse. Bientôt un retour sur les planches ? Affaire à suivre...
Rescapés
Affaire à suivre également que celle de Lance Amstrong. The Armstrong Lie d'Alex Gibney, présenté en avant-première est un formidable documentaire sur le champion falsifié et déchu de ses sept Tours de France. Pensé au départ comme une hagiographie du cycliste revenu d'entre les morts (un cancer en 1996), ce film a été tourné au moment de son comeback sur les routes du Tour en 2009. Et englobe de fait ses aveux chez Oprah Winfrey, les enquêtes de l'agence américaine anti-dopage, des témoignages de ses anciens co-équipiers qui l'ont accusé de triche et de ceux qu'il a humiliés ou dont il a brisé la carrière (comme Simeoni).
A son terme, Jean-Emmanuel Ducoin, journaliste à L'Humanité et lucide amoureux du vélo, déclarera logiquement n'avoir «rien appris», mais pointera le fait qu'il est explicitement dit dans ce film qu'Armstrong s'est dopé avant même sa maladie, non sans souligner les complicités des plus hautes instances sportives (en tête Hein Verbruggen, patron de l'Union Cycliste Internationale) mais aussi politique (sous la gouvernance Sarkozy) dont a bénéficié Armstrong durant son règne. Stephen Frears a présenté dans la foulée son Muhammad Ali's greatest fight et offert un extrait inédit du biopic qu'il prépare sur Armstrong et dans lequel, pour l'anecdote, on peine à reconnaitre Guillaume Canet, grimé en Docteur Ferrari (le sulfureux médecin italien que consultait l'Américain). Sortie nationale prévue fin 2014.
Enfin, c'est avec Daniel Brühl que ce sont achevés ces quatre jours. Le comédien allemand défendait un film bien mal sorti en septembre, le surprenant Rush de Ron Howard, centré sur la rivalité entre Nika Lauda et James Hunt sur les circuits de Formule 1 en 1976, terrible accident et retour inespéré de l'Autrichien compris. Là encore, l'on s'aperçoit qu'avec la formidable dramaturgie intrinsèque au geste sportif et le talent d'une équipe artistique, naissent de grandes œuvres. Et comme il y en a pléthore, rendez-vous est d"ores et déjà pris pour une deuxième édition. Probablement en janvier 2014.
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