Pour sa première réalisation, le producteur et scénariste Étienne Comar s'offre rien moins qu'un portrait du plus fameux des guitaristes jazz manouche, Django Reinhardt. De belles intentions lourdes comme un pavé...
Producteur inspiré de Timbuktu ou Des Hommes et des dieux, Étienne Comar passe ici à la réalisation pour un bien étrange biopic inspiré par sa fascination pour l'œuvre, la musique et la personnalité de Django Reinhardt — campé par un Reda Kateb appliqué, impeccable aux six-cordes durant le premier quart d'heure (le meilleur du film). Ce portrait au classicisme suranné se focalise en effet sur la période de l'Occupation et donne l'impression de chercher à exonérer le guitariste jazz de son insouciance d'alors en le transformant en proto-résistant, voire en héros de survival. C'est se livrer à de sérieuses extrapolations au nom de la fiction et/ou de l'admiration.
Étienne Comar a beau jeu de justifier sa démarche par les béances de l'histoire officielle, une question éternelle se pose : jusqu'où un cinéaste peut-il laisser voguer son imagination sans travestir la vérité, fût-ce en invoquant une licence artistique ? Sur l'écran d'argent, une légende dorée a tôt fait de s'imprimer et de passer pour incontestable si elle n'est pas présentée comme une variation ou une hypothèse : le risque existe que l'image du personnage prenne le pas sur la personnalité-source. En l'occurrence, mieux vaut écouter les rares enregistrements de Django.
Étienne Comar : « Django est le premier guitar hero »
Pourquoi ce portrait de Django à cette période précise ?
Étienne Comar : Depuis des années, je voulais faire le portrait d'un artiste, un musicien dans une période tourmentée de l'Histoire et de son existence. Pour plusieurs raisons : j'ai fait de la musique, je sais sa faculté de vous extraire du monde, de vous isoler et vous aveugler. Le fait de vouloir traiter d'une période historique compliquée est lié à l'air du temps, parler de la position des artistes, à un moment où tout semble s'effondrer autour de soi.
Django est une icône qui m'a toujours fasciné. D'abord, c'est un peu les prémices du rock'n'roll ; c'est le premier guitar hero, il a inspiré énormément de jazzmen, de bluesmen, de rockeurs... Quant à la période, parce qu'il fait de la musique, il ne voit pratiquement pas le drame en train de se passer autour de lui. Il va entrer de plain-pied dans la guerre, parce qu'il va y être contraint, forcé. Je n'aime pas trop les biopics qui traitent de toute une vie : on travaille sur des cartes postales. Ici, il y a de la fiction : le fait de travailler sur une période aussi restreinte, où il y a peu de document sur sa vie à ce moment-là, autorise à fictionnaliser.
Vous lui faites dire que la guerre ne le concerne pas, que « c'est une chose de gadjé »...
EC : Les Tsiganes ont toujours le sentiment de n'avoir jamais fait la guerre. C'est ce qui se dit dans leur communauté : Ils règlent les conflits à l'intérieur, n'ont pas ou peu de propriété privée, pas de pays... La guerre est un peu étrangère à la communauté. Ce sont des réflexions que j'ai entendues ou prises dans les livres de gens ayant témoigné de cette période. Beaucoup d'entre eux ont été extrêmement maltraités parce qu'il y avait peu d'opposition.
Ce qui m'a intéressé avec Django, c'est comment il a fait son job pendant cette période. Juste avant la guerre, il était avec Stéphane Grappelli à Londres. Grappelli reste, mais Django décide de rentrer pour jouer, parce que « les Parisiens en avaient besoin. » Je ne dis pas qu'il avait raison ou tort, je ne rentre pas dans un débat moral, mais en tout cas, beaucoup d'artistes continuant à travailler avaient le sentiment que c'était la chose qu'il fallait faire. C'est cette ambiguïté là que j'aime. Beaucoup de chanteurs aujourd'hui vont jouer dans des pays ayant des gouvernements politiques impossibles.
C'est une chose que d'aller jouer pour les habitants, c'en est une autre d'aller rencontrer les dirigeants...
EC : Oui, mais pendant la guerre, tous les dirigeants allemands venaient à Paris voir des concerts, ils allaient au théâtre ; c'était la capitale des plaisirs. Si vous étiez musicien, on venait vous voir. Je ne dis pas que toutes les circonstances sont égales, mais ça dit quand même quelque chose d'une période trouble, où tout le monde n'est pas noir ni blanc.
Vous présentez le film ici à Avignon aux Rencontres du Sud. Mais qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez su que vous feriez l'ouverture de la Berlinale ?
EC : J'adore cette histoire ! J'avais très envie qu'on présente le film à Berlin, et il a été retenu par le sélectionneur, Dieter Kosslick. C'est un grand amateur de cinéma, de musique et il aime beaucoup Django. Je lui ai tout suite envoyé un mot : « Tu te rends compte : 70 ans après, Django qui a tout fait pour échapper à Berlin, vient enfin y jouer ! C'est merveilleux comme réconciliation et comme ironie. » J'étais bouleversé quand on a montré le film ; évidemment j'ai dit quelques mots là-dessus.