Mardi 30 avril 2019 De Thierry Demaizière & Alban Teurlai (Fr, 1h35)…
Thierry Demaizière : « pour faire un films sur Lourdes, il faut être athée »
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 6 mai 2019
Photo : © Agence Okarina
Lourdes
De Thierry Demaizière, Alban Teurlai (2019, Fr)
Lourdes / Avec son alter ego Alban Teurlai, Thierry Demaizière s'est intéressé à une petite communes des Hautes-Pyrénées au prestige planétaire pour les chrétiens, depuis qu'une certaine Bernadette y a vu la Vierge. Regard d'un athée sur Lourdes, et propos rapportés des Rencontres du Sud d'Avignon...
Lourdes est-il un film de commande ?
Thierry Demaizière : Non seulement ce n'est pas un film de commande, mais on n'était jamais allés à Lourdes ni Alban, ni moi. En plus, l'un est athée et l'autre agnostique ; moi j'avais bu de l'eau bénite pour mon bac parce que mes grands-parents allaient là-bas, pour vous dire notre rapport à Lourdes... L'histoire a commencé avec une amie, Sixtine Léon-Dufour, qui est créditée au générique. Il s'est trouvé pendant une semaine que l'on n'arrivait pas à la joindre, et elle ne voulait pas nous dire où elle était, en croyant qu'on allait se moquer. Quand elle a dit qu'elle était hospitalière à Lourdes, on lui a demandé de raconter. Et on s'est dit qu'il y avait un truc génial à faire sur les pèlerins. Sur Internet, on voit qu'il y a des sujets de télévision sur le commerce de Lourdes, mais pas de documentaire sur les pèlerins au cinéma, je n'en revenais pas. Alors on est partis à Lourdes.
Comment avez-vous sélectionné vos personnages ?
De manière assez classique pour un documentaire : on a pris des enquêtrices pour bosser parce que c'est assez compliqué de trouver les personnages : les gens s'inscrivent tard au pèlerinage, on ne sait pas qui va venir ; il y a un problème technique. Après, c'est le bonheur du documentaire : certains ont été trouvés sur place, en particulier le monsieur atteint de la maladie de Charcot qui avait un profil qu'on recherchait. Une dame du rosaire m'a conseillé d'aller voir cet homme incroyable qui aurait peut-être envie de témoigner. Et ça s'est fait comme cela. Il fallait trouver des histoires un peu universelles dépassant un peu le catholicisme : on avait quand même comme ambition de faire un film qui ne touche pas que les catholiques, même si on sait bien que c'est la plus grande part du public. On a donc fait une douzaine de pèlerinages, il y a pas mal de personnages qui ne sont pas au montage.
Vos personnages ont-il manifesté de la réticence à quelque moment du tournage ?
Non, plutôt de la confiance : c'est tellement bienveillant ce qui se passe là-bas qu'à partir du moment où on a été acceptés, c'était à nous d'être a la hauteur de cette confiance. Il y a un côté voyeur à Lourdes, évidement, alors qu'il fallait que l'image soit à la hauteur pour que la pudeur soit respectée. On ne peut pas à la fois demander aux gens de nous montrer leurs vies, leurs handicaps et en même temps les filmer comme des barbares.
Avez-vous eu une rencontre officielle avec les autorités religieuses ?
C'est obligatoire. Ils étaient méfiants, au début, pour plusieurs raisons — entre autres, parce qu'on avait fait un film sur Rocco Siffredi juste avant (rires). Après, ils ont décidé de nous faire confiance ; je dirais même un peu plus parce qu'on leur a vraiment bien expliqué la démarche. Notre caméra a d'ailleurs été la première à pouvoir filmer les piscines, on les en remercie.
Ont-ils vu le film ?
Non seulement ils ont vu, mais ils aiment beaucoup le film, ce qui est important pour nous aussi parce que c'est un public auquel on croit... Et les diocèses vont organiser beaucoup d'avant-première en France.
Vous avez évoqué le film sur Rocco Siffredi ; auparavant vous aviez fait Relève, sur la danse... Il y a, encore une fois, beaucoup de corps. Qu'est ce qui vous intéresse autant dans cette thématique pour que vous la suiviez sous des angles aussi différents ?
C'est vraiment inconscient, on s'en est rendu compte qu'après. Je ne sais pas quoi répondre à ça... On est des portraitistes, on se définit comme ça avec Alban, l'intime se lie par la parole et par le corps — et bientôt, on va faire un film sur le hip-hop, donc on continue à travailler sur le corps. D'un point de vue cinématographique, pour qu'un film documentaire ait une qualité, le corps est essentiel. Dans ce film, on a des visages : la jeune fille rousse a une gueule de cinéma, Le documentaire doit aller chercher des visages, des corps, des voix intéressantes...
Ici, avant d'ouvrir avec des corps, vous ouvrez avec un ballet de mains...
Alors, la main, c'est deux choses. D'abord, pour être honnête c'est esthétique et hypnotisant : vous vous asseyez devant la grotte quand vous n'êtes pas croyants, vous voyez des mains de gitanes, de vieux, de jeunes, les mains qui caressent la pierre qui est lustrée, qui brille — d'un point de vue cinématographique c'est très beau. D'un point de vue symbolique, avec cette main, en une image, on a du sacré. D'ailleurs, on l'a prise comme affiche : c'est un choix à la fois beau et ça dit tout.
Est-ce que votre athéisme et votre agnosticisme vous ont été utiles ?
Oui, oui, je pense même que pour faire un film sur Lourdes, il faut être athée. Parce que si on suit un prisme catholique ou religieux, on peut être influencé. Les catholiques qui me parlent du film, me disent : « c'est bien que t'aies montré ça de nous car on ne le voit plus ; on voit d'autres choses que tu n'as pas vues »
Si par miracle un diffuseur vous proposait de faire à partir de Lourdes une série, comme jadis Arte l'avait fait avec Corpus Christi...
Ouais, mais non : on a bien exploité le sujet. Je suis ravi d'avoir fait ce film, mais c'est un film dur à faire, en fait...
Vous n'avez jamais eu de frustration par rapport à la matière que vous n'avez pas exploitée ?
Si, si bien sûr ! On a dû perdre des personnages, on les regrette encore.
Le miracle, justement, vous l'évoquez à peine : vous en parlez au début, puis plus du tout...
Il y a un clin d'œil, une apparition, un petit miracle : celui qui ne parle pas dit « je vous aime ». On savait qu'il y a trois ans, il avait parlé, il avait dit une phrase, mais plus un mot depuis trois ans — il a fait deux tentatives de suicides très, très importantes et depuis il a un problème de corde vocale. Mais pour répondre à votre question, le miracle, bizarrement, n'est pas central à Lourdes. Les catholiques vous disent « les miracles, c'est toutes les heures ; l'enfant qui sourit est le premier miracle de Lourdes » Ils n'ont pas tout ä fait tort : dans le film, celui qui n'a plus qu'a espérer un miracle c'est celui qui est atteint de la maladie de Charcot. Mais il dit qu'il n'ose pas demander... La demande des miracles à Lourdes est très compliquée : il y a tellement pire à côté de soi que devant cette foule de condamnés à mort, on n'ose plus demander pour soi.
Et vous, croyez-vous au miracle ?
C'est une bonne question. On a peut-être besoin dans la vie de “l'idée“ du miracle. Donc je crois à l'idée de miracle.
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 3 octobre 2023 Documentariste réputée, Claire Simon avait décidé de poser sa caméra au service gynécologique de l’Hôpital Tenon à Paris. Mais de visiteuse, elle devient patiente et son combat victorieux contre la maladie ajoute un enjeu humain à un film loin d’en...
Mercredi 19 avril 2023 Fille de, sœur de… et surtout scénariste d’un film dont le remake a décroché l’an passé l’Oscar du meilleur film, Victoria Bedos signe sa première réalisation, "La Plus Belle pour aller danser", qu’elle avait présentée lors des Rencontres du Sud...
Mardi 18 avril 2023 L’une des belles surprises des Rencontres du Sud 2023 est un film bicéphale d’anticipation politique, où un homme découvre dans son courrier un test de grossesse anonyme. Rencontre avec Benoît Volnais, co-auteur de "Avant l’effondrement" avec Alice...
Mercredi 19 avril 2023 Invité aux Rencontres du Sud pour présenter sa nouvelle comédie avec Charlotte Gainsbourg, "La Vie pour de vrai", Dany Boon évoque les lointaines inspirations qui l’ont aidé à modeler son personnage de candide. Comme son rapport inattendu à Agnès...
Mercredi 12 avril 2023 Présenté en ouverture des Rencontres du Sud avignonnaises, "Le Prix du passage" rappelle la douloureuse situation des migrants bloqués aux portes de la Manche, ainsi que la réalité des trafics humains. Un “film social“ loin des codes du genre que...
Vendredi 13 mai 2022 D’une histoire vraie, Jean-Pierre Améris a tiré le sujet de son nouvel opus, une comédie sociale et chorale sur fond de problématiques rurales contemporaines. Tourné dans les verdoyants paysages du Cantal, ce film apparaît à bien des égards comme un...
Mercredi 20 avril 2022 Le duo de cinéaste est de retour avec un nouveau documentaire consacré au seul établissement en France ayant intégré une section hip-hop ouverte à tous les profils d’élèves, le lycée Turgot de Paris. Ils ont suivi les élèves de cet enseignement...
Mardi 12 avril 2022 À voir
★★★☆☆ Vortex
Un couple de personnes âgées dans son appartement parisien, dont le morne train-train est (...)
Mercredi 20 avril 2022 Nora, adolescente de bonne famille devient amie avec Libertad, la fille de l’employée de maison dans la chaleur de l’été espagnol. Pour son premier long-métrage, la réalisatrice espagnole Clara Roquet a fouillé ses souvenirs et beaucoup brodé autour...
Mardi 29 mars 2022 Narrant une reconstruction après un traumatisme, En corps peut se voir comme un conte de la résilience mais aussi comme une nouvelle tentative de Cédric Klapisch de capturer le geste et le temps pour conserver une trace éternelle du mouvement...
Vendredi 6 mars 2020 Comme chaque année à la mi-mars, c’est à Avignon qu’il faut se rendre pour faire une moisson d’avant-première et de séances en présence d’équipes ! D’autant (...)
Jeudi 8 août 2019 Le cinéma n’a pas de frontière. Le réalisateur français Olivier Coussemacq le prouve en signant un film on ne peut plus marocain, "Nomades". Rencontre (logique) à l’occasion des Rencontres du Sud…
Lundi 26 août 2019 C’est aux Rencontres d’Avignon que la rare Claire Devers avait réservé la primeur de son nouveau long-métrage, "Pauvre Georges !", un film cachant son soufre satirique derrière l’apparente impassibilité de son héros-titre campé par l’impeccable...
Lundi 6 mai 2019 Personnage pivot des "Petits mouchoirs", Vincent est à nouveau interprété par Benoît Magimel. Conversation avec un comédien sur la manière d’appréhender un rôle et son métier à l’occasion des Rencontres du Sud d’Avignon…
Mardi 12 mars 2019 On aime de plus en plus ce rendez-vous dans la cité du pont Saint-Bénézet, devenu Festival des Montreurs d’images, où tous les professionnels se (...)
Mardi 26 juin 2018 Léa Frédeval raconte la genèse du film adapté de son livre qu’elle avait présenté en primeur au Rencontres du Sud d’Avignon. Elle confie également ses futurs projets…
Mardi 29 mai 2018 Grand écart climatique pour Samuel Collardey, qui a présenté en primeur aux Rencontres du Sud d’Avignon son nouveau film tourné aux confins de l’hémisphère boréal, Une année polaire. Une expérience inuite et inouïe.
Vendredi 1 juin 2018 C’est sur les terres de sa jeunesse avignonnaise, lors des Rencontres du Sud, que le réalisateur et cinéaste Daniel Auteuil est venu évoquer son nouvel opus, Amoureux de ma femme. Le temps d’une rêve-party…
Mardi 24 avril 2018 S’il n’a tourné aucune image de son film inspiré de l’équipe de foot féminine de Reims dans la ville de ses exploits, Julien Hallard est bien allé à Avignon pour parler aux Rencontres du Sud de "Comme des garçons"…
Mardi 13 mars 2018 À la fois rencontre professionnelle et manifestation ouverte au public, les Rencontres du Sud d’Avignon ont fait leur mue pour devenir l’an dernier le (...)
Mardi 5 septembre 2017 Avant d’aller à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, Carine Tardieu était passée aux Rencontres du Sud pour présenter son film tourné en Bretagne. Rencontre avec une voyageuse.
Mardi 25 avril 2017 Pour sa première réalisation, le producteur et scénariste Étienne Comar s’offre rien moins qu’un portrait du plus fameux des guitaristes jazz manouche, Django Reinhardt. De belles intentions lourdes comme un pavé…
Mardi 28 février 2017 Prenant chaque année davantage de densité, les Rencontres du Sud annoncent le printemps avec leur cortège d’avant-premières en présence d’équipes.
En l’espace (...)
Mercredi 7 septembre 2016 Benjamin Millepied transmet à de jeunes danseurs du ballet de l’Opéra de Paris son inépuisable enthousiasme et livre, au terme d'un époustouflant contre-la-montre, sa première création en tant que directeur de la danse à Garnier. Édifiant et...
Mardi 24 mai 2016 Choc des Rencontres cinématographiques du Sud d’Avignon, où il a été projeté en avant-première, L’Origine de la violence a été présenté par un Élie Chouraqui combatif et serein.
Mercredi 24 février 2016 Pour connaître les tendances cinématographiques des prochains mois, direction Avignon et ses Rencontres du Sud. La manifestation conviviale, qui se déroule (...)
Jeudi 7 juillet 2011 De Jessica Hausner (Autriche-Fr, 1h35) avec Sylvie Testud, Léa Seydoux, Bruno Todeschini…