Bande Dessinée / Formation, création, édition, distribution... Si la BD dispose aujourd'hui à Lyon d'un réseau d'énergies et de talents aussi enthousiaste que dynamique, elle ne le doit pas au hasard, mais à un patient labeur.
Mi-octobre, la France sera l'invitée d'honneur de la kolossal Foire du Livre de Francfort, où une belle délégation d'auteurs de bande dessinée est attendue. LyonBD y sera pour, notamment, dévoiler son nouveau projet numérique : Ping-Pong — un dialogue transmedia entre illustrateurs français et allemands dans la lignée des Webtrip déjà publiés. Auparavant, en juin, le 12e festival lyonnais aura accueilli plus de 230 auteurs et au moins autant de visiteurs que les années précédentes (80 000 en 2016). Sans compter la fréquentation des expositions BD en cours...
Une toute petite décennie aura suffi à Lyon pour être reconnue à l'international comme la nouvelle place forte hexagonale de la BD, taillant des croupières à la capitale angoumoisine — pourtant riche de l'antériorité de son prestigieux festival et d'une somptueuse Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, qui semble ronfler benoîtement sur ses lauriers passés. Mathieu Diez, directeur du LyonBD festival, évoque modestement « un alignement de planètes ». Toute métaphore astronomique mise à part, une conjonction de circonstances favorables explique cette émergence. Elle n'a, en définitive, rien de si soudaine, mais résulte d'une progression raisonnée et vertueuse.
Un terreau favorable
De l'imprimerie au XVe siècle au punk-rock des années 1970, la très bourgeoise cité lyonnaise a souvent accueilli avec une étonnante fierté le développement des formes d'expression contestataires, d'avant-garde ou novatrices. Après la Seconde guerre mondiale, la ville est ainsi le siège des éditions Lug, qui inondent le jeune public de petit formats illustrés avant de diffuser en France les premiers comics Marvel dès 1969 — Mitton ou Tota y font leurs premières armes. La BD appartient encore à la marge quand Adrienne Krikorian ouvre Expérience, une boutique spécialisée en 1973. Par ses imports et son choix inouïs, elle initie sa clientèle à une diversité infinie : le Roannais Serge Clerc ou les locaux Hubert Mounier et Kent fréquenteront avec profit son échoppe.
Proposant des enseignements basiques et classiques auxquels les Beaux-Arts tendent à renoncer, l'École Émile-Cohl apporte paradoxalement en 1984 un sang neuf dans le monde de l'illustration. Avec l'École Bellecour, ce centre de formation va constituer un pôle d'attraction essentiel pour les apprentis dessinateurs. Après leurs études, certains d'entre eux éliront définitivement domicile à Lyon, boudant la capitale. Les progrès technologiques et de dématérialisation, mais aussi la qualité de vie rhodanienne, rendent l'exil parisien définitivement dispensable. Des années plus tard, des auteurs renommés tels que Tronchet, Guillaume Long ou Nicolas Wild succomberont à la douceur lyonnaise, rejoignant Hub, Nicolas Otéro ou Alexis Nesme.
Bandes décidées
Parce qu'ils se plaisent à travailler dans une promiscuité complice — et ont souvent besoin de mutualiser les frais —, ces grands solitaires que sont les auteurs de BD aiment à constituer des ateliers. Premier d'entre eux et toujours en activité, KCS est fondé en 1999 par les Jouvray, entre autres talents. Suivront pêle-mêle Le Bocal (avec Nicolas Brachet...), Le Gaufrier (Yan le Pon, Marie Avril...), Vermillon à Villeurbanne (Matthieu Ferrand, Leah Touitou...). Pour s'entraider dans leur quotidien, partager leurs expériences ou faire bouger les lignes d'une profession parfois rude, ils créent en 2006 l'Épicerie séquentielle, une association prônant un corporatisme de bon aloi, c'est-à-dire non replié sur lui-même, encourageant l'émulation. Ce cercle de réflexion autant que récréatif évoluera peu à peu pour devenir une jolie maison d'édition lançant notamment Les Rues de Lyon en 2015.
Parallèlement, des collectifs s'organisent pour faire connaître une nouvelle génération par le biais de fanzines ou de publications semi-underground — tel Arbitraire, qui révèle notamment Vincent Pianina. Les références locales augmentent aussi grâce à de nouveaux éditeurs opiniâtres, dont Claude Amauger pour Tanibis, lequel ne craint pas de prendre d'atypiques paris artistiques — Ivan Brun, Alexandre Kha ou Aurélien Maury lui doivent une part de leur notoriété.
Expérience, géré depuis 1999 par le duo de choc Jean-Louis Musy-Nico Courty, accompagne le mouvement en publiant dès 2007 Bermuda, un recueil annuel d'histoires signées par des auteurs régionaux : l'irrésistible B-gnet, Efix, Ben Lebègue ou Loïc Godard y ont laissé leur empreinte. D'autres librairies spécialisées sont apparues pour relayer l'explosion de la production BD du début du XXIe siècle : Patrice et Valérie Boudier ouvrent La BD sur la plateau croix-roussien, La Petite Bulle émerge à Saint-Jean ; on déplore hélas la perte du BD Fugue Café rue Confort et du Boulevard de la BD rue Lanterne...
Un festival pour les unir tous
Ultime pierre ajoutée, le festival LyonBD se lance en 2006, profitant autant de cette dynamique qu'il l'accélère. Imaginé avec des auteurs, il sait s'affranchir du pensum “foire à la dédicace” qui les déprime tant d'ordinaire en proposant dans une ambiance festive (catalyseur nécessaire) des alternatives sans cesse renouvelées. Aux journées professionnelles, débats publics s'ajoutent ainsi des créations de spectacles, des battles musicales et des résidences dans des institutions culturelles de la Métropole. LyonBD tire parti de leur maillage et de leur complémentarité ; multiplie ponts et jumelages avec les partenaires diplomatiques ou consulaires. Et révèle autant au grand public qu'aux élus l'exceptionnelle polyvalence de la bande dessinée, ainsi que ses bénéfices en terme d'attractivité économique. Ce n'est qu'un début pour Lyon, jouant désormais dans la même cour que Québec, Barcelone ou Bruxelles. Comme l'on dit dans les meilleures séries : (à suivre...)